Chez Kuhn, le projet de télémétrie a démarré juste après le Sima 2019. Comme la technologie était déjà au point et utilisée sur des tracteurs, des engins de travaux publics, des poids lourds ou des machines de récolte, le constructeur de Saverne s’est interrogé sur ce qu’elle pourrait apporter à ses propres fabrications, notamment à ses mélangeuses automotrices. « La présence sur ces machines d’un bus CAN reliant un calculateur au moteur et aux différents organes mécaniques permet de faire remonter un certain nombre de paramètres de fonctionnement vers un serveur. Elle autorisera dans un second temps des réglages à distance ou des mises à jour du logiciel », explique Sonia Audren, responsable des solutions connectées chez Kuhn Audureau, le site spécialisé dans les machines de conduite d’élevage du groupe. Pour un fabricant, l’intérêt de la télémétrie est multiple. En analysant des remontées d’incidents venant de matériels travaillant dans tous les pays et dans une grande diversité d’environnements climatiques ou de systèmes agricoles, les ingénieurs du bureau d’études peuvent vérifier le bon dimensionnement d’un composant. Si celui-ci n’est pas suffisant, les immobilisations risquent de se multiplier ; s’il est trop important, le coût de la machine va en pâtir. Chez le concessionnaire, ces mesures permettent aux mécaniciens de l’atelier de diagnostiquer une défaillance à distance. Ceux-ci gagnent du temps dans les réparations et peuvent anticiper ou repousser une maintenance préventive. L’utilisateur, de son côté, trouvera dans ces données des informations pour surveiller sa machine, comptabiliser ses heures ou comparer ses performances avec celles de ses collègues. Il pourra vérifier, par exemple, que les consommations de carburant ne s’envolent pas du fait de l’usure des couteaux ou s’étonner d’aberrantes durées de fonctionnement au ralenti. Il pourra aussi contrôler que ses temps de chargement ou de déchargement sont en ligne avec les moyennes observées sur des machines analogues. La remontée d’une donnée aussi basique que celle du compteur horaire permet d’imaginer des solutions pratiques simplifiant l’utilisation au quotidien de la machine. Ainsi, l’utilisateur a la possibilité de paramétrer ses propres messages pour l’aider dans ses routines d’entretien. Il peut, par exemple, programmer des rappels de vérification de pression des pneus que le système lui adressera par SMS ou courriel.
Des automotrices déjà connectées
Comme la télémétrie peut être appelée, dans les années qui viennent, à concerner plus d’une famille de machines, Kuhn a mis très vite en place une équipe transversale de développeurs, de spécialistes du marketing mais aussi de juristes pour travailler sur le sujet. En plus de mettre au point les technologies embarquées, de programmer les interfaces web ou les bases de données, elle a reçu pour mission d’étudier son modèle économique mais aussi d’en envisager tous les aspects juridiques. La complexité du projet était d’importance. Si le constructeur peut facilement trouver des fournisseurs proposant des boîtiers d’acquisition et de transmission de données à brancher sur ses machines, ses équipes ont dû développer des interfaces informatiques utilisables par les concessionnaires ou les utilisateurs. Les études ont avancé rapidement. Dès le 1er janvier 2021, Kuhn a fait le choix de rendre toutes les automotrices destinées au marché français connectables. Pour les utilisateurs, l’initiative était transparente, car l’intégralité des coûts de l’adaptation de télétransmission et de l’abonnement téléphonique multiopérateur nécessaire aux échanges de données était prise en charge. Au début de 2022, ils auront accès à l’interface permettant de suivre les performances de leurs machines. Celle-ci sera en effet disponible dans le portail MyKuhn, l’outil web leur permettant, d’ores et déjà, de retrouver des manuels d’utilisation ou de préparer des paniers de pièces détachées pour leurs matériels. Par cette démarche, le constructeur a voulu gagner du temps dans la création d’un parc de machines connectées pour tester les procédures et hâter l’appropriation de la technologie par son réseau.
Des données sensibles
Les données peuvent véhiculer des informations sensibles sur la vie privée et sont encadrées par les réglementations RGPD (règlement général sur la protection des données), leur utilisation par le constructeur et les concessionnaires réclamant la plus grande rigueur. Il n’est pas question que le système confonde une machine avec une autre, encore moins que le concessionnaire Kuhn valorise des données en se passant du consentement de son client. Les juristes de Saverne ont donc élaboré un protocole très rigoureux dans lequel l’utilisateur donne son autorisation à Kuhn de récupérer les données de la machine et où il choisit lui-même le concessionnaire avec lequel il veut travailler. Mais, même une fois qu’il a reçu ces autorisations, le constructeur se refuse de conserver l’historique des données de géolocalisation. Si celles-ci s’avèrent nécessaires, par exemple pour permettre à un mécanicien de la dépanner, un SMS est envoyé à l’agriculteur l'informant de la remontée de cette information pour laquelle il a préalablement donné son accord lors de la connexion de sa machine à la plateforme Kuhn Connect.
Des échanges ouverts
« L’intégration de la télémétrie sur les automotrices d’alimentation n’est que le début de l’histoire chez Kuhn, prévient Sonia Audren. Cette technologie intéresse aussi les autres familles d’outils. » En plus de remonter des informations de fonctionnement, ceux-ci pourront transmettre des données sur la fertilité des sols, sur leur salissure par des mauvaises herbes ou sur des rendements. Ces informations peuvent aussi s’inscrire dans des processus de traçabilité, notamment pour certifier l’absence de contamination d’une culture bio par des OGM ou par des substances prohibées dans le cas, par exemple, de mélangeuses automotrices utilisées en Cuma. Plus tard, en les associant à des technologies d’intelligence artificielle, elles ouvriront la voie à des formes multiples d’automatisation ou même de robotisation. C’est la raison pour laquelle le constructeur est partie prenante, aux côtés d’autres grands constructeurs et informaticiens, de DKE Data, le développeur d’Agrirouter, une plateforme informatique capable de faire remonter des données venant de machines agricoles de différentes natures puis de les redistribuer vers divers utilisateurs.