Dans le paysage du machinisme agricole, le nom de l’entreprise Actia est largement méconnu. Les plus curieux d’entre nous ont éventuellement pu apercevoir son logo sur les appareillages de mesure des centres de contrôle technique automobile. En février de cette année, il est apparu pour la toute première fois dans l’actualité de la filière lorsque le groupe Argo a annoncé qu’il allait installer à bord des tracteurs de ses marques Landini et McCormick des calculateurs télématiques fabriqués par cet industriel toulousain. Le constructeur italien lui demandait, en outre, de l’aider à développer ses portails web de télédiagnostic de tracteurs. Ce choix était d’autant plus pertinent qu’Actia fait partie des grands spécialistes mondiaux de ces systèmes. L’entreprise a été créée en 1986 par trois cadres de l’équipementier Bendix qui avaient alors repris à leur compte son département « Petites Séries ». Après des premiers développements portant sur des outils de diagnostic électronique pour automobiles, elle a vite grandi en s’appuyant sur le développement des systèmes de calcul embarqués dans les véhicules motorisés. Aujourd’hui, Actia emploie 3 800 personnes dans 24 pays et a réalisé en 2019 un chiffre d’affaires de 520 millions d'euros (M€). Ses champs d’action sont plutôt vastes. Elle développe des systèmes pour le ferroviaire, l’aérospatial ou l’énergie, mais l’essentiel de ses activités concerne des applications pour engins mobiles routiers et non routiers. Elle propose aussi bien des appareillages de mesure pour garages ou centres de contrôle technique que des systèmes de diagnostic et de télématique embarqués à bord de véhicules tels des automobiles, des camions, des bus ou des engins agricoles et de travaux publics. Ses clients se recrutent aussi bien dans le top 5 de l’industrie automobile mondiale que chez des acteurs plus modestes des tracteurs ou automoteurs agricoles. « Ces métiers nous donnent une vision globale sur le cycle de vie des véhicules », se félicite Pascal Perhirin, le directeur du développement des activités non routières chez Actia. Grâce à ses sites implantés dans différents pays du monde, l'entreprise maîtrise aussi bien la fabrication de calculateurs que le développement de leurs logiciels. Ce savoir-faire lui permet de s’adapter aux multiples demandes de sa clientèle. « Certains acteurs nous achètent l’intégralité d’un système. Mais de plus en plus, les grands groupes mettent en place des équipes spécialisées développant leurs propres applications. Ils conservent ainsi le contrôle d’un aspect de plus en plus stratégique dans leur métier », note Pascal Perhirin.
Des données appréciées des logisticiens
Les systèmes d’Actia intéressent autant des fabricants de tracteurs que des constructeurs intervenant sur les segments de la pulvérisation et de l’épandage d’amendement, dans la sphère forestière ou dans d’autres secteurs d’activité tels que le transport routier et les matériels de construction. Dans ces deux derniers domaines, le sujet de la télémétrie n’est déjà plus considéré comme radicalement nouveau. En effet, les logisticiens des transporteurs s’en sont emparés il y a déjà quelques années pour suivre en permanence leurs flottes de camions, assigner des missions aux chauffeurs, éventuellement les conseiller pour adopter un style de conduite plus économe en carburant. Les loueurs de matériels industriels ou de construction, de leur côté, apprécient depuis autant de temps ces systèmes qui leur permettent de localiser leurs engins ou de récupérer des données sur leur état et leur durée d’utilisation. Dans l’agriculture, le phénomène est plus récent, et la technologie ne commence à se généraliser que depuis deux ou trois ans. Selon Pascal Perhirin, l’argument qui préside le plus à son développement est la réduction des temps d’immobilisation grâce à des possibilités de diagnostic à distance. Jusqu’à présent, un technicien devait, dans un premier temps, se rendre auprès de la machine pour comprendre le problème. Il commandait la pièce de rechange puis, dans un second temps, revenait pour résoudre la panne. Désormais, il économise un déplacement et, parfois, résout l’intégralité du problème en restant dans son atelier.
La porte d’entrée des machines autonomes
Pascal Perhirin préfère le terme de télématique à celui de télémétrie. Il estime que ce vocable décrit davantage les capacités de cette technologie à faire dialoguer des informatiques embarquées à bord d’un engin avec d’autres déportées. Cette intelligence permet d’ores et déjà de résoudre des bugs et d’apporter des mises à jour au logiciel embarqué. L’enjeu, en augmentant les flux de données, est à présent de permettre à ces systèmes de nourrir des algorithmes d’intelligence artificielle et/ou de supporter le fonctionnement de machines semi- ou intégralement autonomes. Les équipes d’Actia ont déjà commencé à se pencher sur ce sujet. Cependant, la mise au point de ces technologies émergentes ne relève plus seulement de la conception de cartes électroniques et de capteurs, ou de l’écriture de logiciels, elle devra également prendre en compte des questions de cybersécurité et d’ordre juridique. Ainsi, si des start-up savent déjà fabriquer des machines entièrement robotisées capables d’interagir en toute sécurité avec leur environnement, celles-ci ne peuvent pas encore traverser une voie publique ni fonctionner sans superviseur. Les règles de sécurité encadrant une action aussi simple n’ont en effet pas encore été discutées entre les fabricants d’engins, leurs fournisseurs de solutions électroniques et les pouvoirs publics. C’est pour cette raison qu’Actia s’est engagée, aux côtés de constructeurs tels que Kuhn, Manitou, Agco, Exxact Robotics et Jeantil, de fournisseurs de capteurs et de logiciels, et d’instituts techniques ou de recherche, dans l’association professionnelle RobAgri. La grande question à laquelle ses membres doivent répondre, avec les pouvoirs publics, est celle de la qualification des machines autonomes, c’est-à-dire l’ensemble des règles auxquelles ces dernières doivent obéir pour être autorisées à travailler.