Matériel Agricole : Qu’est-ce que l’agriculture de conservation ?
Jérôme Labreuche :
Il n’y a pas de critères précis pour définir l’agriculture de conservation. Néanmoins, cette technique repose sur trois piliers principaux : le travail minimum du sol, sa couverture la plus importante possible à l’aide de résidus ou de couverts végétaux, et une rotation longue et diversifiée. Elle englobe le recours au semis direct et ponctuellement au strip-till ou au travail superficiel. Mais plus qu’une technique, elle repose sur une démarche qui consiste à revoir son raisonnement, à repenser un système dans son ensemble selon des problématiques très diverses : sanitaires, désherbage, matière organique, structure du sol… Il n’y a pas de recette toute faite. Elle peut prendre des formes différentes selon les régions ou les exploitations. Cette notion d’agriculture de conservation est mondiale. C'est le prolongement du conservation tillage, développé aux Etats-Unis, pour réduire l’érosion du sol en laissant un maximum de résidus en surface. "
Où en sommes-nous dans l’Hexagone ?
La difficulté est d’évaluer qui est en agriculture de conservation et qui ne l'est pas. Nous ne disposons pas de chiffres précis, mais une enquête du ministère de l’Agriculture réalisée à deux reprises, en 2011 et en 2017, a démontré que les surfaces non labourées six ans de suite sont passées de 13 à 23 % entre ces deux années. Dans le même laps de temps, celles en semis direct et en strip-till ont progressé de 0,5 % pour atteindre respectivement 1,5 et 0,5 % en 2017. Les surfaces en agriculture de conservation augmentent doucement en France et nous estimons aujourd’hui qu’elles représentent une part comprise entre 2 et 3 %. Deux principaux freins expliquent cette lente progression : la technicité qu’elle impose et le poids des traditions. Un autre enseignement de cette enquête est que les laboureurs ont repris à leur compte certains éléments de ceux qui pratiquent l’agriculture de conservation, à l’instar du semis plus précoce ou du mélange de couverts végétaux incluant des légumineuses. L'agriculture de conservation intéresse beaucoup de monde et engendre beaucoup d’innovations au sein des itinéraires : les rotations culturales, l’intégration de couverts dans la rotation, le raisonnement de la fertilisation… On constate un engouement croissant pour les couverts permanents en implantant, par exemple, des plantes compagnes sensibles au gel, associées à du trèfle blanc ou de la luzerne, lors du semis de colza. L’objectif est double avec les couverts non gélifs : couvrir le sol après le colza et fixer de l’azote pour le blé qui suit. "
Quels essais avez-vous menés à ce sujet et quels en sont les principaux enseignements ?
En complément d'essais de comparaison de techniques, annuels ou pluriannuels, nous avons conduit un essai système de culture sur la Digiferme de Boigneville (Essonne). Nous y avons suivi l'évolution de différents paramètres agronomiques, économiques et environnementaux découlant du passage à un semis direct sous couvert végétal. Dans ce dernier cas, la rotation a évolué vers plus de couverture de sol : colza + légumineuses associées ; maintien des repousses de colza ; blé tendre d’hiver ; couvert ; orge de printemps ; blé tendre. La rentabilité a été maintenue à 442 €/ha de marge nette, contre 394 €/ha pour le système de référence [cf. tableau, NDLR]. Une productivité du travail deux fois plus élevée reste la clé de ces bons résultats économiques, en raison de rendements toujours élevés en blé et un temps de traction réduit, la main-d’œuvre pouvant ainsi exploiter des surfaces plus importantes. Les charges de mécanisation sont d’autant plus réduites. En revanche, la gestion des adventices, du ray grass notamment, figure parmi les limites du système. Un allongement de la rotation a dû être mis en oeuvre. "