Les différents types d’engrais, suivant leur densité et la taille de leurs billes, n’ont pas la même aptitude à voler plus ou moins loin. Ainsi, lorsqu’ils sont épandus avec un distributeur centrifuge, ils n’offrent pas la même couverture du sol. Il s’avère donc nécessaire de procéder au réglage de l’appareil à chaque changement de produit. Afin de connaître la marche à suivre, j’ai assisté à une formation dispensée par Julien Hérault, conseiller machinisme indépendant et agriculteur, établi dans le nord des Deux-Sèvres. Cette journée, à l’initiative du Centre d’études techniques agricoles (CETA) de Limagne se tenait au nord de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et réunissait une quinzaine d’agriculteurs. « Pour réussir vos épandages, il y a trois règles à suivre, annonce l’expert. La première, c’est anticiper. N’attendez pas la veille pour voir si vous pourrez épandre l’engrais correctement. En effet, selon la largeur de travail souhaitée et le type d’engrais, les constructeurs peuvent préconiser l'utilisation de disques ou d'aubes que vous ne possédez pas. Il vous faudra alors les commander auprès de votre concessionnaire. Certains engrais ne seront peut-être pas épandables dans la largeur à laquelle vous souhaitez les appliquer. Si vous anticipez suffisamment ce problème, vous pourrez trouver un autre produit, ou modifier votre largeur de travail. » La deuxième règle découle directement de la première, puisqu’il s’agit de caractériser l’engrais. En effet, pour régler correctement l’épandeur d’engrais, il faut déjà connaître les caractéristiques du produit. Les constructeurs disposent tous, sur leur site Internet et/ou sur une application mobile dédiée, d’une base de données référençant un grand nombre d’engrais et de produits utilisables avec un épandeur centrifuge.

Caractériser les produits non référencés
L’utilisateur doit donc rechercher dans la liste le produit qu’il possède pour connaître les réglages à appliquer à son appareil. Cependant, tous les produits ne sont pas référencés. Dans ce cas, il faut procéder soi-même à la caractérisation. À cette fin, les constructeurs (à l’exception de Kuhn et d'Amazone) vendent des kits qui leur sont spécifiques. La densité de l’engrais peut ainsi être connue après avoir rempli puis soupesé un récipient de 1 L à l'aide d'un peson ou sur une balance. D’ailleurs, cette opération peut être effectuée avec n’importe quel contenant, à condition d’en connaître le volume et la tare. Un second accessoire, le granulomètre, sert à déterminer la granulométrie. Il est en général composé de quatre compartiments, séparés par des grilles de plus en plus fines. Une fois rempli du côté de la plus grosse d’entre elles, il doit être secoué pendant 20 à 30 secondes. Les billes d’engrais sont alors triées par taille, selon quatre calibres. Certains fabricants recourent à des lettres, d’autres à des chiffres. L’utilisateur détermine alors la quantité dans chaque compartiment, à l’aide des graduations. Après avoir entré ces informations, en plus de la densité, dans l’application ou sur le site du constructeur, le serveur recherche les types d’engrais les plus approchants afin de préconiser des réglages au plus près. Concernant Kuhn et Amazone, qui ne proposent pas de kit de caractérisation, l’utilisateur n’a pas d’autre choix que d’envoyer par la poste un échantillon du produit qu’il souhaite épandre au laboratoire du constructeur, afin de recevoir une fiche de réglage spécifique.

La préconisation mérite vérification
« Dans ce cas, il est d’autant plus important d’anticiper le temps nécessaire à la caractérisation », martèle Julien Hérault. Lorsque les réglages préconisés sont appliqués, il reste encore à vérifier que la répartition de l’engrais sur la largeur de travail est correcte. « C’est la troisième règle : il faut contrôler. Et pour cela, il n’existe pas de solution miracle. Vous devez disposer des bacs dans la parcelle et vérifier les quantités d’engrais recueillies. » Les réceptacles se présentent sous la forme de plateaux rectangulaires à bords hauts, en plastique. À l’intérieur, des croisillons cloisonnent l’espace dans le but d’éviter le rebond de l’engrais en dehors des bacs. Ces derniers sont vendus par lots de quatre ou sept, en général. Ils sont accompagnés d’autant d’éprouvettes, disposées sur un support, et d’un entonnoir pour y déverser la quantité d’engrais récoltée dans chaque bac. Ils doivent être disposés transversalement au sens de progression du tracteur. Il est possible de les répartir sur une pleine largeur de travail (1 bac tous les 5 m, pour 7 bacs sur 30 m) ou sur une demi-largeur (1 bac tous les 2,5 m) en plaçant le premier entre les traces de roues. Dans le premier cas, trois passages sont nécessaires (le passage survolant les bacs devant être précédé et suivi d'un passage), alors que, dans le second cas, seuls deux passages sont requis (recroisement uniquement d’un côté). Il est conseillé d’appliquer une dose suffisante pour obtenir des résultats faciles à interpréter, d’au moins 150 à 200 kg/ha. Après avoir collecté l’engrais de chacun des bacs dans les épuisettes, en respectant le même ordre, une tendance devrait tout de suite se manifester.

Interpréter les résultats
Si les éprouvettes sont globalement remplies au même niveau, alors le réglage est bon. Si, au contraire, elles dessinent une courbe plus élevée au centre (ou une pente partant du côté du passage du tracteur dans le cas d’une demi-largeur contrôlée), le dosage est plus fort au centre que sur les bords. Il faut alors modifier le réglage de la largeur de travail afin d’envoyer l’engrais plus loin. Dans le cas inverse, il faut resserrer la largeur de travail. Selon les marques et les modèles de distributeurs centrifuges, ce réglage impacte soit le point de chute de l’engrais sur les disques, soit l’inclinaison des aubes. Selon les marques, les graduations prennent en général la forme de chiffres ou de lettres. « Je conseille toujours d’avancer ou de reculer de deux crans, expose Julien Hérault. Ainsi, lorsque vous allez faire un second test avec les bacs, si la tendance s’est inversée, alors le bon réglage se situe entre les deux. Sinon, refaites deux crans de plus. » La bonne répartition de l’engrais sur toute la largeur de travail évite les écarts de croissance au sein de la parcelle. Un mauvais réglage peut entraîner une différence de hauteur de la culture par bandes, allant, dans le pire des cas, jusqu’à des problèmes de verse dus à un fort surdosage. « Dans ce cas, vous êtes doublement perdant. Non seulement vous gaspillez de l’engrais, mais, en plus, vous ne pourrez pas récolter une partie de la culture. Ceci a un grave impact financier », conclut l’expert.


Test sur une demi-largeur

Sept bacs ont été répartis sur une demi-largeur de travail. La courbe avant réglage (en bleu) montre un sous-dosage au niveau du centre du passage (gauche du graphique), puis une élévation de la dose en s’éloignant sur le côté. Ceci indique que l’appareil envoie l’engrais trop loin. Après diminution du réglage de deux crans, la nouvelle courbe (en jaune) montre une répartition plus homogène. Le coefficient de variation initial de 26 % passe alors à 10 %.
Test en pleine largeur


Lors d’essais poussés, Julien Hérault dispose deux fois 50 bacs de mesure sur toute la largeur de travail du distributeur centrifuge. Il pèse l’engrais collecté indépendamment pour chacun des trois passages. La courbe bleue représente le passage central, alors que la courbe verte et la courbe rouge correspondent aux passages latéraux. La courbe violette cumule les trois autres. Le premier essai, en appliquant les réglages préconisés à la suite de la caractérisation, montre une forte disparité, avec un sous-dosage au centre et un surdosage sur les côtés. Le second essai, après correction du réglage de la largeur de travail, montre une bien meilleure répartition. Le coefficient de variation passe alors de 49 à 11 %.