Machinisme de demain : un défi humain ! JCB, un industriel visionnaire ? Interview de Philippe Girard
Alors que l’on parle de transition énergétique, différentes problématiques existent : filière d’approvisionnement, souveraineté énergétique, capacité technologique… Philippe Girard, directeur général de JCB France chargé du développement des énergies pour le groupe anglais, répond aux questions de la rédaction de Matériel Agricole à propos du futur des motorisations en agriculture.
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Pourquoi JCB s’intéresse-t-il autant aux nouvelles motorisations ?
Philippe Girard : Depuis les années 2000, JCB a décidé de produire ses propres moteurs diesels en investissant énormément en recherche et développement pour anticiper les normes antipollution imposées aux fabricants. Ainsi, JCB a toujours eu un temps d’avance, par exemple en lançant des moteurs aux normes Tier IV Final exempts d’AdBlue. Pour le groupe, l’avenir des énergies fossiles est sérieusement compromis dans nos milieux, du fait de la rareté, du prix et surtout du rejet de la population qui s’y oppose massivement. C’est ainsi que nous voyons trois pistes pour l’avenir énergétique de nos matériels. L’électrification pour les matériels compacts sans aucun doute, l’hydrogène dans des moteurs à combustion interne pour les matériels de moyenne et forte puissance et enfin des diesels « propres » fonctionnant aux HVO [huiles végétales hydrotraitées] pour la phase de transition et là où l’hydrogène ne sera pas disponible assez tôt.
JCB a été l’un des premiers constructeurs d’engins à commercialiser une gamme 100 % électrique de télescopiques. Pourquoi avoir fait ce choix de motorisation ?
Tout est question d’usage. Tant que la puissance consommée et le temps de travail journalier restent limités et, de surcroît, qu’une source d’énergie est proche du lieu d’utilisation du matériel, alors la solution d’électrification et de recharge de batteries lithium-ion est particulièrement pertinente et procure un confort d’utilisation inégalé. Prenons le cas d’un chariot télescopique compact travaillant dans la cour d’une ferme. Il effectue peu de roulage avec deux à trois heures d’utilisation par session, le matin ou le soir, pour une consommation de 25 kWh. L’analyse de ce cas d’usage a été rendue possible par la collecte de données extrêmement précises de la télématique provenant de quelque 500 000 matériels connectés (minipelles et matériels de manutention) chez JCB à travers le monde. C’est pourquoi, dès 2018, JCB lance en production ses matériels compacts électriques sur batteries lithium-ion. À ce jour, la France reste le premier marché pour JCB avec plus de 1 000 matériels de la gamme E-Tech en service dans les secteurs de la location, du BTP, de l’Industrie et encore de l’agriculture.
Quels principaux enseignements tirez-vous de ces 1 000 véhicules électriques ?
Les premiers chariots télescopiques JCB ont été livrés en 2022 et les premiers valets de ferme arrivent ces jours-ci chez nos clients. Les avantages mis en avant par les utilisateurs sont l'absence d’émissions de CO2 et de poussières, le faible bruit, un réel confort d’utilisation et une souplesse de conduite importante. Ces retours clients encouragent JCB à poursuivre son plan de lancement de produits. En effet, 25 modèles électrifiés composeront la gamme d’ici à 2026.
JCB a annoncé fin 2022 développer un moteur à explosion fonctionnant à l’hydrogène. Pourquoi ce choix plutôt que la pile à combustible ?
Récemment, JCB a mis au point un moteur à combustion interne fonctionnant à l’hydrogène. À ce jour, nous avons 50 moteurs en phase finale de validation. Après plusieurs prototypes de matériels de BTP et agricoles fonctionnant avec une pile à combustible, nous avons jugé que cette technologie n’était pas mature pour nos secteurs d’activité. Nous avons conclu que le coût, à ce jour, d'une telle solution est prohibitif pour nos clients. JCB a souhaité autant que possible travailler sur des solutions dont l’économie n’est pas très différente de celle des matériels actuels.
D’où est venue cette idée de moteurs à explosion carburant à l’hydrogène ?
Les discours actuels sur les carburants de substitution laissent à croire que l’hydrogène est l’énergie de demain. Or le HVO requiert de l’hydrogène et les e-fuels sont produits à partir d’hydrogène. De surcroît, l’hydrogène est riche en énergie et peut être produit localement à partir d’énergie solaire ou éolienne, voire d’électricité nucléaire. L’hydrogène semble donc être une solution de souveraineté énergétique pour nos pays trop dépendants d’approvisionnements en gaz et en pétrole. Au cours des dernières années, et particulièrement à la fin du siècle dernier, des recherches poussées avaient laissé entrevoir des solutions de moteur à combustion interne à hydrogène, comme chez BMW. Toutefois, les résultats n’avaient pu aboutir, faute de technologies disponibles. JCB a su reprendre le sujet avec des ressources hautement technologiques et a pu surmonter les freins d’il y a 25 ans.
L’un des reproches qui peut être fait à l’hydrogène est le manque de filière d’approvisionnement. Avez-vous inclus cela dans vos réflexions ?
C’est bien un sujet. JCB n’a pas vocation à produire de l’hydrogène. Nous sommes très attentifs à la disponibilité de cette énergie et en particulier de sa composante verte, dont chaque pays semble dessiner sa « roadmap ». Dans l'Hexagone, France Hydrogène consacre énormément de moyens pour produire et approvisionner de l’hydrogène vert ou jaune. La vocation du groupe est de produire des cas d’usage de l’hydrogène pour le BTP, l’agricole et l’industrie. En résumé, chez JCB, on fabrique des machines mais pas d’hydrogène ! Nous allons disposer dès le lancement de nos offres d’un ravitailleur qui assurera la logistique du dernier kilomètre… C’est crucial pour nos clients de ne pas avoir à stocker de l’hydrogène en quantité importante et de ne pas dépendre d’un approvisionnement trop complexe et coûteux.
Pour vous, allons-nous vers la fin du diesel ? à quelle échéance ?
Oui, pour deux raisons. La première est la diminution de la ressource tant physique que politique, ou bien tactique. Pour l’échéance, on pourrait dire dans 50 ans ! La seconde raison, plus importante, est l’opinion publique qui s’est mis en tête, à tort ou à raison, le bannissement des énergies fossiles… Ce mouvement est irrévocable, à mon humble avis d’ici dix ans ! Conséquence des deux points ci-dessus : nous allons devoir faire face à une guerre de l’énergie avec, possiblement, des préemptions sectorielles comme l’aviation, des usages très spéciaux, ce qui ne fera qu’accélérer la pénurie et l’inflation des prix de l’énergie fossile, et cela, dès maintenant et crescendo !
Cette demande de motorisations plus vertueuses pour l’environnement est-elle identique dans tous les pays d’Europe et du monde ?
La France et l'Europe de l’Ouest sont plutôt précurseurs tant la pression du public est forte pour décarboner. Les offres de motorisations, dans notre industrie de faibles volumes, sont encore peu nombreuses tant les constructeurs tardent à reconnaître cette pression grandissante à bannir les énergies fossiles. Tous les pays d’Europe de l’Ouest en sont au même point. Dans le reste du monde, certains pays, l’Inde par exemple, sont plutôt volontaires pour prendre à bras-le-corps cette transition énergétique de façon constructive et non contraignante comme cela semble se dessiner en France.
Quelles seraient selon vous les clés de la réussite de cette transition énergétique ?
Une politique d’indépendance énergétique claire et soutenue dans le temps par les gouvernements pour assurer la meilleure transition et éviter des « stop & go » à la française. Pour le moment, il semblerait que France Hydrogène soit un bras armé particulièrement efficace à ce stade.
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