Les états-majors des grands constructeurs de matériels agricoles sont plutôt agités actuellement. Alors qu’ils sont confrontés aux plus grandes difficultés industrielles en raison de chaînes d’approvisionnement perturbées ou de l’inflation galopante des coûts des matières premières, ils doivent également plus que jamais réinventer leurs métiers et leurs technologies. La pression réglementaire liée aux scénarios de changement climatique ou aux contraintes environnementales, ainsi que la maturation rapide de technologies innovantes leur imposent d’explorer une grande diversité de solutions. Entre l’intelligence artificielle, l’électrification, les carburants alternatifs, la robotisation, l’agriculture de précision, les sujets d’étude ne manquent pas. Pour eux, des évidences se dessinent. Les tracteurs et automoteurs devront dans l’avenir, autant que possible, éviter les moteurs diesels. Avec leurs outils, ils seront bardés de capteurs et dopés à l’intelligence artificielle. Ils se montreront davantage réactifs que leurs chauffeurs humains et pourront éventuellement s’en passer. Ils collecteront des données sur leur fonctionnement, leur environnement et leurs chantiers.

Les hypothèses de petits robots unitaires ou de machines plus conventionnelles mais autonomes ou neutres en carbone sont multiples, et les acteurs du machinisme se trouvent obligés de toutes les envisager, car elles leur ouvrent des opportunités de proposer des matériels répondant aux futures orientations du marché. Mais les incertitudes sont énormes. Pour eux, le risque est grand d’épuiser leur budget de développement ou de se fourvoyer dans une impasse. Si les technologies avancent très rapidement, les législations et la clarification des responsabilités juridiques en cas d’accident ou de dysfonctionnement sont plus lentes à se préciser. Qu’en sera-t-il de la demande des agriculteurs ? Basculera-t-elle du jour au lendemain dans des technologies radicalement différentes ou laissera-t-elle longtemps de la place à des machines plus traditionnelles ? Ceux-ci auront certainement le dernier mot.
Des investissements énormes
En attendant, les montants investis dans ces évolutions sont gigantesques. Derek Neilson, le président de la division agriculture de CNH Industrial, annonçait récemment le doublement de ses dépenses en recherche et développement. Alors que leur enveloppe se situait autour de 2,2 milliards de dollars (Md$) lors des exercices 2019 à 2021, elle pourrait atteindre 4 Md$ sur la période 2022-2024. Pour mémoire, le groupe réalisait un chiffre d’affaires de 23 Md$ en 2022. Un effort particulier devrait être consacré aux technologies de précision et aux propulsions alternatives avec des budgets s’envolant de 150 %.

Chez John Deere, la R&D en matière de développement durable est également de mise. Le constructeur américain a ainsi annoncé son intention de faire la preuve d’ici à 2026 de solutions de puissance alternatives ou zéro carbone. À la même échéance, il veut proposer un tracteur agricole compact et autonome intégralement électrique. Dans son approche de verdissement, il s’intéresse autant aux performances de ses matériels agricoles qu’aux qualités de leurs matériaux constitutifs ou aux vertus de leurs processus de production. Alors qu’il vise une réduction des émissions de CO2 de ses machines de 15 % à l'horizon 2030, il promet l’intégration de 95 % de matériaux recyclables dans leur fabrication.
La durabilité au cœur de la stratégie industrielle
Comme leurs concurrents, les autres groupes du machinisme savent montrer qu’ils ont compris que le monde était en train de changer et qu’ils devaient faire évoluer leurs produits et leur façon de les fabriquer. En même temps qu'il multiplie les collaborations avec des start-up technologiques, Kubota explique que l’économie devra non seulement trouver un compromis entre sa croissance et la réutilisation des ressources, mais aussi devenir neutre en carbone. Agco, de son côté, s’est distingué en présentant des prototypes de tracteurs électriques carburant à l’hydrogène. Il veut davantage intégrer les impératifs de durabilité dans l’ensemble de sa chaîne de valeur, depuis l’approvisionnement en composants jusqu’à l’utilisation des machines, en passant par les processus opérationnels de l’entreprise.

Claas, Same Deutz-Fahr et Argo se montrent tout aussi perméables aux changements fondamentaux du monde. Nous le prouvent le récent investissement de SDF dans les robots électriques viticoles Bakus, la présentation à l’Eima d’un tracteur vigneron hybride par Landini ou encore ce commentaire de Thomas Böck, le directeur général du groupe Claas dans le rapport annuel de l’entreprise diffusé à la fin de 2022 : « Des tendances fondamentales telles que la transformation digitale, l’agriculture robotisée et les motorisations alternatives ne sont pas seulement des évolutions technologiques stimulantes pour l’industrie agricole, elles modifient notre façon de travailler et de communiquer avec nos clients. Il est donc important pour nous d’investir dans ces tendances dès le début. »