L’idéal pour bien évaluer un système d’alimentation innovant serait d’interroger les vaches. Il faudrait leur demander par exemple si, depuis l’arrivée de la machine dans leur univers, l’appétence de leur ration s’est améliorée, si leur rumination se passe mieux ou si la nouvelle machine ne les stresse pas trop. Si les vaches du Gaec de La Corderie en Vendée ne maîtrisent pas suffisamment la langue de Molière pour nous fournir un avis éclairé sur le robot Kuhn Aura affecté à leur alimentation depuis quelques mois, elles savent aussi bien que leurs congénères avertir leurs éleveurs par des meuglements, des cornadis qui claquent ou leur agitation lorsque quelque chose les perturbe. Fort heureusement, l’ambiance est plus que calme dans cette exploitation de 260 vaches laitières. Ce n’est même pas le groupe d’une dizaine de journalistes de la presse spécialisée débarquant pour découvrir cette machine qui semble les émouvoir. Elles auraient tort de se plaindre. Chaque jour, entre 5 h 30 du matin et 10 heures du soir, l’engin revient régulièrement leur distribuer leur ration. Elles n’ont pas le temps d’avoir faim et dès que les pis commencent à tirer elles vont visiter le robot de traite. En tout, la machine effectue chaque jours 14 rotations pour ravitailler chacun des lots. Grace à sa fraise, elle s’approvisionne en ensilage d’herbe ou de maïs, les mélange avec l’exacte quantité exacte de concentrés et de minéraux, les distribue aussitôt tout en repoussant le fourrage.
Une infrastructure légère
Les quatre associés du Gaec ont conclu un accord avec l’usine Kuhn de la Copechagnère toute proche pour mettre à l’épreuve des conditions réelles le tout premier robot d’alimentation de leur fabrication. L’Aura représente un énorme enjeu pour le groupe Kuhn. Ses équipes ont démarré le projet il y a cinq ans avec pour but de mettre sur le marché la première machine capable de charger, mélanger, distribuer, tout en s’adaptant à des infrastructures existantes. Elle devait se montrer abordable tant financièrement que dans son usage. Le résultat est un bol automoteur de 3 m3 de 2,5 m de haut et 6,90 m de long pesant 5,8 tonnes. La motorisation thermique Kohler de 42 kW, est suffisante pour entrainer la fraise de 60 cm de large, déplacer l’engin à quatre roues motrices et directrices sur des terrains stabilisés à une vitesse de 2 km/h et mélanger tous types de fourrage grâce à ses deux vis. Dans son principe, il est radicalement différent des différents systèmes d’alimentation automatisés existant déjà sur le marché. Il ne réclame ni installation de cuisine ou de banque d’aliments à ravitailler régulièrement, ni de système de guidage. Il n’impose donc pas d’investir dans une infrastructure dédiée et s’adapte facilement à l’évolution d’un élevage. Il obéit à des itinéraires préprogrammés l’emmenant des silos aux bâtiments d’élevage et s’arrêtant éventuellement sur ses zones de parking, aires de lavage ou points de ravitaillement en GNR. Il se repère dans grâce à un guidage GPS RTK ainsi que par des mesures odométriques de rotation des roues ou d’angle de braquage des trains directionnels. Il situe les murs, des obstacles ou d’éventuelles situations de dangers grâce à ses capteurs Lidar.
Une sécurité draconienne
Dans l’étude de l’Aura, les équipes de Kuhn ont accordé une importance toute particulière à sa sécurité. Elles ont listé avec le LASS, le laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes du CNRS, toutes les situations dangereuses puis ont fait auditer la machine par un laboratoire indépendant. Ses capteurs Lidar détectent des obstacles au-delà de sa distance d’arrêt en marche rapide. Des contacteurs périmétriques remplissent la même fonction à vitesse lente. Quatre bornes d’arrêt d’urgence sont réparties tout autour de la machine. Son entrée en service sur un élevage suit un protocole très précis démarrant avant la signature du bon de commande. Une route à traverser rend par exemple l’installation impossible. 90 jours avant la livraison, une pré-visite de sécurité répertorie un ensemble de points à aménager et de signalétiques à mettre en place. Dans la foulée, un géomètre fait un relevé du périmètre d’évolution de la machine et des techniciens installent certains périphériques telles que des balises de positionnement RTK, des répéteurs WiFi pour garder le contact avec la machine ou des interfaces de dosage sur les silos de granulés. 8 jours avant la livraison, une visite de sécurité donnant ou non le feu vert. Ensuite, les techniciens de Kuhn accompagnent les éleveurs durant quatre semaines pour assurer tous les réglages. Dans un premier temps, ils installent et la calibrent des périphériques, réalisent un certain nombre de tests et valident les trajets de la machine. Ensuite, ils démarrent quelques missions d’alimentation auprès des lots d’animaux les moins sensibles, par exemple les génisses. Ils forment alors les utilisateurs et font monter la machine en régime. La dernière semaine est consacrée à des réglages d’optimisation des temps de cycles.