Peu d’entreprises de l’univers du machinisme agricole peuvent justifier de racines aussi anciennes que celle des Forges de Niaux. Ce serait au tout début des années 1600 qu’elle auraient commencé ses activités. La commune de Niaux située dans une vallée encaissée des Pyrénées, dans le département de l’Ariège, disposait alors de tous les ingrédients pour exceller dans la fabrication d’outils et armes blanches : des forêts capables de produire du combustible en abondance, la force motrice de la rivière Vicdessos, des minerais de fer extraits de montagnes surplombant la vallée, à peine 10 kilomètres en amont, sans compter une tradition de savoir-faire métallurgiques. Elle se colportait localement de forgerons en forgerons depuis des temps immémoriaux. L’innovation technique des forges catalanes apparue à cette époque permettant de produire directement de l’acier à partir de bas fourneaux allait lui apporter une capacité à produire des outils de coupe à la trempe renommée. L’énergie apportée par une chute d’eau permettait d’un côté d’attiser le foyer de forge et, de l’autre, de marteler le métal pour en extraire scories et carbone. Si lors de la révolution industrielle du 19ème siècle, la production locale de l’acier n’a pas survécu à la concurrence de la sidérurgie lorraine, Niaux et d’autres entreprises pyrénéennes ont su tirer parti de leur savoir-faire dans les métiers de la forge en produisant en masse des couteaux, des armes blanches, des sécateurs, des faux, des coins, des socs ou versoirs de charrues… Cette tradition a perduré tout au long du XXe siècle et jusqu’à nos jours. Les Forges de Niaux ont alors pris le parti de se spécialiser dans les pièces pour machines agricoles puis dans les disques de travail du sol.
« Après la deuxième guerre mondiale, les propriétaires de l’entreprise avaient compris lors d’un voyage aux États-Unis leur potentiel et leur intérêt agronomique pour travailler moins profond et limiter l’érosion », explique Laurent Pinéda, le directeur général de Forges de Niaux.
Ce pari lancé dans les années soixante a été plutôt gagnant. En faisant reconnaitre la qualité de ses produits, l’entreprise a su développer ses productions. Aujourd’hui, avec une près de 1,1 million d’unités par an, ses disques sont montés sur des semoirs et des déchaumeurs fabriqués plus grandes marques internationales. Avec des marchés conquis en Europe, en Amérique du Nord et du Sud et même en Extrême-Orient ou dans l’Océanie, elle annonce réaliser près de 92 % de son chiffre d’affaires de 24,5 M€ à l’exportation.
« Nos produits bénéficient d’une excellente réputation et nous sommes extrêmement sollicités dans le monde entier », se félicite Laurent Pinéda.
Plus de production, moins d’impacts environnementaux
Les quatre siècles de l’histoire des Forges de Niaux ont été émaillés de difficiles caps à franchir, de ruptures technologiques ou de choix risqués vers de nouvelles orientations. À un moment, il a fallu abandonner la production de l’acier et se faire livrer en produits laminés, à un autre remplacer la force motrice du Vicdessos par celle d’un réseau électrique pour alimenter les machines de l’usine.
Au plus haut de son activité dans les années 1980, alors que l’une de ses divisions s’était diversifié dans des activités de mécano-soudure, elle a pu compter jusqu’à 280 salariés. Aujourd’hui après s’être recentrée sur son cœur de métier, les disques, son effectif est redescendu à 90 personnes mais elle demeure le plus important employeur de la Haute-Ariège. Désormais, elle doit relever le défi d’augmenter sa production pour répondre à une demande en augmentation.

L’enjeu que s’est fixé la direction est de passer la capacité de transformation annuelle de 13 000 à 24 000 tonnes d’acier. Ainsi la production pourrait dépasser les 2 millions de disques. En bénéficiant de la croissance des marchés en Europe en Amérique du Nord et en Asie, la part exportée pourrait atteindre les 96 %. Un nouvel actionnariat représenté par Laurent Pinéda et la famille Rodenbostel, par ailleurs propriétaire du grossiste allemand de pièces d’usure Industriehof, a pris la suite, en 2019, des six générations de la famille Grenier aux commandes de l’entreprises depuis 1880. Son arrivée a permis de concrétiser un ancien projet de déménagement déjà porté en 2011, 2013 et 2015 mais qui n’avait pas pu aboutir en raison de difficultés à boucler les 18 M€ de l’investissement.
Le chantier de construction démarré en juin 2021 va aboutir sous peu. Les premiers disques devraient sortir du nouveau site en novembre 2022. Le départ du berceau historique de Niaux a bien évidemment été un crève-cœur pour les populations locales dont l’histoire se confond avec celle de la forge et dont le talent a construit l’image de la marque. Mais en rejoignant la zone d’activités de Gabrielat à Pamiers, située 40 kilomètres plus bas dans la vallée, l’entreprise va trouver un bâtiment de 4000 m2 situé sur une parcelle de 3,5 ha. En plus de son implantation plus rationnelle, il sera plus facile à desservir par les réseaux routiers et bénéficiera d’un vaste bassin d’emploi. Par ailleurs, en intégrant des outils plus modernes, la production devrait gagner en productivité tout en améliorant son impact environnemental.

« Nous visons un objectif de 70 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre, annonce Laurent Pinéda. Nos dépenses énergétiques qui sont générées pour leur plus grande partie par les opérations de forge à chaud et de traitements thermiques vont passer du gaz à l’électrique. Les consommations de lubrifiants d’usinage devraient par ailleurs être considérablement réduits grâce à la mise en place d’outillages modernes. »
Les rejets ont également fait l’objet d’une attention particulière.
« De l’eau de pluie sera récupérée pour assurer les traitements thermiques. Elle sera recyclée et recalibrée pour, à nouveau, alimenter le circuit » .
Un process industriel lourd
Le déménagement d’une telle usine s’avère d’autant plus complexe que la production de disques réclame des moyens industriels lourds. Le processus démarre par le déroulage de bobines d’acier en provenance, pour la plupart d’entre elles, des laminoirs et hauts fourneaux de l’usine sidérurgique Arcelor-Mittal de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône). Une fois aplani, l’acier est découpé en disques par une presse matricielle. Ceux-ci subissent ensuite toute une série d’opérations de forge à froid et à chaud. Les procédés et techniques font partie des secrets bien gardés de l’entreprise. L’objectif est de leur apporter le voilage extrêmement précis, au dixième de millimètre, qu’attend le constructeur d’outils. Un autre est de leur apporter la dureté, la résistance à l’usure et le caractère auto-affutant de la périphérie du disque en contact avec le sol mais aussi de la résistance à la flexion et à la fatigue, au niveau de la liaison mécanique centrale.
« Nous parvenons à des valeurs de résistance mécanique de l’ordre de 2 200 Mpa, soit 7 fois mieux qu’un acier HLE », précise Laurent Pineda.

L’automatisation des machines, l’introduction de capteurs de vision artificielle surveillant les process va permettre à l’usine d’améliorer sa productivité, mais aussi sa flexibilité. Les temps de cycle du débit de la matière à la présentation du produit final qui avoisinaient les 72 heures dans l’ancienne usine se limiteront à 15 minutes.