Rencontre Tracteur Rétro Famille Joubert : l’histoire de trois générations de passionnés
Dans le nord de la Charente, deux cousins, Guy et Jean Joubert, sont très impliqués dans la collection de matériels et de tracteurs anciens. Héritiers d’un patrimoine exceptionnel, ils représentent chacun une branche qui mène à leur grand-père, Auguste Joubert. L’une de ces branches réunit plutôt des mécaniciens (Ernest, puis Jean), alors que l’autre regroupe des entrepreneurs (André, puis Guy). Texte et photos : Claude Brard
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Le grand-père de Guy et de Jean, Auguste Joubert, est né le 1er janvier 1905. Ses parents étaient ouvriers agricoles dans une petite commune des Deux-Sèvres, au château de Saint-Loup-sur-Thouet, avant de se lancer, en 1913, dans la reprise d’une exploitation agricole en friche. La famille s’est alors installée au village de Gaborit sur la commune de Migron, en « Charente-Inférieure », devenue par la suite Charente-Maritime. Sans cheptel et sans outils attelés, la remise en état de cette ferme abandonnée fut un lourd travail. Il permit cependant d’accéder un peu plus tard à une autre exploitation, cette fois-ci située en Charente, à Bonneville. Entre-temps, deux garçons étaient nés. André, le père de Guy, se lancera dans l’entreprise de battage, alors qu’Ernest, le père de Jean, sera mécanicien et surtout inventeur. C’est sur l’exploitation de Bonneville qu’Ernest Joubert imagine de construire un tracteur révolutionnaire, capable de remplacer les chevaux. Il devait, comme ces derniers, reprendre au bout d’une parcelle le sillon qu’il venait de quitter, d’où le besoin d’un rayon de braquage très faible. Après avoir construit la maquette d’un tracteur à trois roues motrices, il en dépose le brevet, accepté le 26 août 1929. L’année suivante, il dépose un autre brevet, mais cette fois-ci pour une charrue défonceuse. Cet outil est très employé dans les régions viticoles pour la plantation des vignes.
Maquette du tracteur à trois roues motrices réalisée par Ernest Joubert. Le brevet date du 6 juillet 1928. L’invention a reçu la médaille d’or du Concours Lépine le 26 septembre 1930.
Maquette de la charrue balance défonceuse. Brevet déposé le 19 mars et délivré le 20 avril de la même année.
Depuis 1928, les parents d’Ernest sont installés à Sonneville, toujours en Charente où il installe son atelier de mécanique générale. En janvier 1931, il achète l’outillage nécessaire à la construction du prototype de son tracteur (perceuse, tour et divers petits outillages) pour réaliser entre autres les moules de fonderie des carters de boîte de vitesses et de ponts. Son atelier de mécanique générale pour la réparation de voitures et de tracteurs se dote d’un distributeur d’essence installé par Shell au bord de la RN 939, dite "route de la mer" (Angoulême-Rochefort).
Lors du Salon de la machine agricole de Paris en 1933, Ernest Joubert rencontre un responsable de « l’Association des inventeurs et petits fabricants », qui le motive à déposer des brevets. En novembre de la même année, il dépose donc un système de contrôle et de réglage des freins d’automobiles, lesquels étaient à l’époque commandés par câbles. Le dispositif mis au point par Ernest Joubert permettait de régler l’équilibre des freins depuis le tableau de bord.
L’activité automobile prend une autre dimension dans l’entreprise avec le développement de l’occasion à partir de 1934. Ernest va à Paris chercher des voitures pour ses clients de la région nord-Charente. Comme ils ne savent pas toujours les manier, il leur donne des leçons de conduite. Il se spécialise également dans le pompage de l’eau des puits, avec parfois des solutions motorisées. Il se rapproche alors de la société Vendeuvre pour les moteurs fixes. Il répare des machines agricoles et grâce à sa forge, il remet en état des charrues. Parfois, il part aussi aider son frère André (le père de Guy), entrepreneur de battage. Sur les chantiers, un mécanicien n’était jamais de trop !
Nouveau déménagement
En 1937, Ernest Joubert opère un nouveau déménagement de son entreprise, toujours au bord de la RN 939, à Rouillac, à quelques kilomètres seulement de Sonneville. Puis, la Seconde Guerre mondiale éclate et notre mécanicien incorpore la 80ème compagnie du train, jusqu’en juillet 1940, date à laquelle il sera démobilisé. Il devient adaptateur officiel de gazogènes sur les tracteurs par le Syndicat national des marchands réparateurs de machines agricoles. A la sortie de la guerre, en 1946, l’entreprise emploie 6 ouvriers, 2 apprentis et un secrétaire. Ernest Joubert achète alors les locaux qu’il occupe à Rouillac. Toujours à la pointe de l’innovation, il invente un appareil pour lier le fil de fer sur les presses à paille (haute densité). Son brevet déposé en juin 1951 est délivré en… juillet 1953 !
Tracteur construit par Ernest sur la base d’un châssis de GMC et d’un moteur Vendeuvre à quatre cylindres. Il était pourvu d’une poulie de battage et d’un treuil. Ernest a construit ce tracteur pour son frère André, entrepreneur de battage et propriétaire d’une scierie.
Au début des années 50, Ernest fabrique un tracteur à quatre roues motrices à partir d’un châssis de GMC sur lequel est monté un moteur quatre cylindres Vendeuvre. Ce tracteur rejoint l’entreprise de battage de son frère André qui, en hiver, exploitait une scierie à Auge, au nord de la Charente. Dans la même période, il conçoit également un tracteur sur la base d’un camion anglais Crosley pour un client de Saint-Jean-d’Angély. La motorisation Vendeuvre est également utilisée pour ce tracteur. Le 4-cylindres de ce motoriste permet aussi de redonner vie à de nombreux tracteurs MAP de la région, réputés peu fiables. Ernest opère de même sur le Fordson de son frère, sur un McCormick 10-20, mais aussi sur un imposant Fiat 702 de 1920, ou encore sur un rouleau compacteur de travaux publics.
Exemple de remotorisation sur ce tracteur MAP (Manufacture d’armes de Paris), qui accueille un bloc à quatre cylindres Vendeuvre.
Tracteur McCormick 10-20, initialement à essence, remotorisé avec un diesel Vendeuvre.
Ernest Joubert distribue les moteurs fixes Vendeuvre depuis la fin des années 30 et connait parfaitement cette motorisation. Il fournit les fermes pour animer les pompes à eau ou les moulins à farine. En 1952, lorsque Vendeuvre sort son premier tracteur, Ernest devient naturellement un distributeur de tous les produits de la marque. Pendant les douze années qui suivront, il vendra plus de 700 tracteurs dans la région, départements limitrophes inclus.
L’un des premiers tracteurs Vendeuvre vendu par Ernest devant le garage de Rouillac.
En 1952, Vendeuvre s’intéresse de près au brevet du lieur de fil de fer déposé par Ernest Joubert. Mais, la marque choisira finalement une autre solution pour sa presse à liage fil de fer qui sortira en 1954.
En 1958, Ernest Joubert commence l’étude d’un moteur rotatif à cylindre torique. Le brevet est validé le 7 mars 1960. C’est son fils, Jean, qui élabore le projet en passant le moteur à deux cylindres pour davantage d’équilibre. Mais, les travaux restent à l’état de prototype.
En 1964, Ernest déménage son entreprise dans une ancienne quincaillerie de Rouillac. La même année, la marque Vendeuvre est reprise par Allis-Chalmers qui, rapidement, arrête la fabrication de tracteurs. Ernest Joubert cherche alors à représenter une autre enseigne et se tourne vers Someca. La direction de la marque accepte à condition que le concessionnaire s’implante à proximité d’une grande ville. Ernest Joubert trouve un terrain à la périphérie d’Angoulême, mais Someca lui demande aussi de créer une société et de prendre un associé. Ainsi, il s’associe avec M. Combellas, mais les affaires ne se déroulent pas comme prévu et une séparation des associés intervient en 1968. Ernest poursuit seul cette aventure. Il peut compter sur l‘aide de son fils Jean qui, après des études techniques à l’école Violet à Paris, travaille comme magasinier à la concession d’Angoulême. Mais, cette dernière ferme ses portes en 1972 et Jean revient alors au garage de Rouillac comme agent Citroën.
A la retraite, Jean s’est beaucoup investi dans l’amicale Vendeuvre dont il a été l’un des fondateurs. Trésorier pendant douze ans, il s’est également occupé des pièces de rechange. Il a bien-sûr conservé quelques pièces rares du machinisme agricole, dont le tracteur à trois roues motrices construit par son père. Jean Joubert et décédé en novembre 2019.
En 2018, Jean Joubert effectue une démonstration de conduite avec ce tracteur qui fonctionne toujours.
A suivre : La branche « entrepreneur » avec André puis Guy Joubert.
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