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Matériels de récolte (partie 2) Mengele : l’empire déchu

Au début des années 70, Mengele est à son apogée, mais l’entreprise est positionnée sur des marchés de niche. De mauvais choix stratégiques, une période difficile sur le marché de la machine agricole et une succession de rachats vont conduire à la disparition de la marque. Texte : Rémy Serai – Photos et documents : Mengele

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Dans le courant des années 50, Mengele n’a pas su négocier le virage qui aurait fait évoluer sa production historique de batteuses vers celle de moissonneuses-batteuses. L’entreprise a été sauvée en se positionnant sur le marché des matériels tractés, dont les ventes ont suivi la progression fulgurante de celle des tracteurs. Elle s’est notamment fait un nom dans le domaine des épandeurs de fumier. Durant les années 80, c’est encore un intervenant de poids sur ce marché, soutenu par la très bonne image de ses produits. Hélas, le fabricant doit composer avec une concurrence faite de dizaines de PME pour qui il est aisé de fabriquer ces matériels et, parfois, de les vendre en direct. Ajoutons que l’Europe de la libre circulation des marchandises ouvre désormais facilement les frontières à des produits concurrents. Mengele s’en sort, mais commercialise une famille de produits qui dégage très peu de valeur ajoutée.

Mengele est resté avec une offre réduite en épandeurs verticaux, qui a rapidement constitué le cœur du marché en Europe. Jusqu’au bout, la marque a persisté dans la fabrication de modèles à hérissons horizontaux.

Mengele s’est surtout cantonné à la production de remorques à ridelles avant de se positionner, tardivement, sur le marché de la benne monocoque. Au moment où la production a été arrêtée, l’usine de Waldstetten fabriquait des remorques à ridelles de 3,5 à 18 t de PTAC et des bennes monocoques de 8 à 21 t de PTAC.

Ça ne va pas mieux à l’export : ces machines venues d’un pays à monnaie forte, le deutschemark, sont coûteuses à l’achat dans les pays à monnaie plus faible. Krone, le principal concurrent sur le marché allemand pour les épandeurs, a d’ailleurs choisi d’en abandonner la fabrication pour se pencher sur des machines plus techniques : les presses à balles rondes, les presses haute densité et bientôt les ensileuses automotrices.

L’usine Mengele de Günzburg à son apogée au début des années 1970. Elle compte 55 000 m² couverts sur un terrain de 12,3 ha. Après la faillite de l’entreprise, l’intégralité du site va être rasé au début des années 2000 pour laisser la place à un supermarché, un cinéma et leurs parkings.

Toujours durant les années 80, Mengele se pose en leader sur le marché des remorques autochargeuses. Mais là aussi, la position est dure à tenir. Ces machines sont majoritairement demandées dans les régions où les éleveurs récoltent l’herbe en vrac pour la sécher en grange. Ce qui en limite la commercialisation surtout dans les zones de montagnes. En Europe, pas loin de dix constructeurs se concurrencent sur ce marché de niche. Une tendance se dessine, qui consiste à récolter l’ensilage d’herbe avec ces remorques dotées d’un équipement de coupe fait d’une rampe de couteaux et d’un rotor en étoile. Mais la méthode n’en est qu’à ses débuts. Quand elle va devenir plus courante, au cours des années 90, c’est un concurrent de Mengele, l’Autrichien Pöttinger, qui va rapidement se positionner en tête sur ce créneau.

L’offre en autochargeuses, conçues à la base pour la récolte du foin en vrac, va s’étoffer avec des remorques ensileuses munies d’un système de coupe à l’avant. Ces machines sont devenues une alternative à l’ensileuse pour la récolte de l’herbe.

Sur le front de l’ensileuse automotrice, enfin, Mengele est désormais un intervenant à la hauteur des attentes des entrepreneurs et coopératives. Mais la concurrence est rude. Sur ce secteur où l’essentiel des ventes se réalise en Europe, Claas caracole en tête avec une part de marché de l’ordre de 50%. Derrière, John Deere et Fiatagri (puis New Holland) jouent des coudes. Ces trois marques s’appuient sur un réseau structuré qui commercialise par ailleurs des moissonneuses-batteuses. Les concessionnaires sont donc rompus et équipés pour les interventions d’urgence au champ, un critère sur lequel une marque d’ensileuses est particulièrement attendue au tournant. Premier marché mondial, la France absorbe entre 400 et 500 ensileuses neuves par an au cours des années 90. Quand les marques leaders sont passées, ne reste plus pour Mengele que de quoi caser quelques dizaines d’unités. Parce qu’il fabrique peu d’automotrices, Mengele ne réalise pas les mêmes économies d’échelle que les grands groupes. Cela se ressent sur les prix de vente. En 1991, son ensileuse SF 6600 (354 ch, bec six rangs) est au tarif à 1,03 millions de francs. Sa concurrente Claas Jaguar 695 SL (354 ch, becs six rangs également) est annoncée à 901 000 francs.

 

Avec les ensileuses SF 5500, 6000 et 6500, Mengele revient à une architecture classique avec les roues motrices à l’avant. C’est cette gamme qui va permettre à la marque de se faire une place sur le marché européen de l’ensileuse.

Sur ses trois principaux segments, Mengele se trouve donc en position délicate. Les années 80 vont lui être fatales. Durant cette période, les agriculteurs sont plutôt timorés sur le front des investissements. Les éleveurs laitiers, surtout. Ces gros clients pour les machines Mengele voient arriver les quotas laitiers, en 1984, et toute la période floue qui va de pair avec. Ils ont à peine eu le temps de composer avec la limitation de leur production que, déjà, se peaufine la réforme de la Politique agricole commune, en 1992. Réforme qui va conduire à l’effondrement des ventes de machines agricoles dans l’Union Européenne.
Enfin, sur le front du dossier « Josef Mengele », c’est la curée. Le fugitif n’a jamais été attrapé. Il est mort au Brésil en 1979. Dans la famille et dans l’entourage, des langues se sont déliées et confirment ce dont tout le monde se doutait : il a, durant ses 35 ans de cavale, bénéficié d’un soutien financier et logistique de la part du clan familial. Une enquête est ouverte. Des perquisitions sont menées jusque dans les bureaux de l’usine. Il n’y aura pas de suite.

Lâché par les banques
Pour compenser l’érosion de ses ventes et de sa rentabilité, Mengele réduit progressivement ses effectifs, tout simplement en ne remplaçant pas les départs. 1800 salariés travaillaient dans l’entreprise au début des années 70. Ils ne sont plus que 1100 dix ans plus tard. Dieter et Karl-Heinz Mengele (Aloïs est mort en 1974) font entrer leur entreprise dans une période d’économies, avec un coup de frein sur les investissements. Ils n’ont pas trop le choix. Les banques, jadis si confiantes, commencent à fermer les robinets. Les deux cousins se servent aussi de leurs relations politiques. A plusieurs reprises durant les années 80, le Land de Bavière efface quelques ardoises fiscales et doit même renflouer l’entreprise. Mais celle-ci n’arrive pas à relever la tête. Elle réduit encore ses effectifs pour tomber à 650 salariés fin 1990.
En 1991, au bord de la faillite, Mengele passe aux mains du groupe Bidell. Cette société allemande à capitaux familiaux est présente dans différentes activités de négoce, entre autres dans le secteur de la machine agricole. Le transfert surprend à l’époque. Mengele, avec ses usines et ses produits, avait de quoi intéresser un grand groupe de la machine agricole et lui apporter un complément de gamme. Bidell va toutefois insuffler une certaine dynamique chez Mengele. Les projets plus ou moins en attente dans les cartons sont menés à bien. Toujours pas de changement de nom au programme, mais les machines arborent une nouvelle couleur avec un bleu plus lumineux. Le design assez anguleux qui a prévalu jusqu’alors laisse la place à des formes plus arrondies. En ensileuses, c’est la série Mammut qui inaugure ce nouveau look en 1994. La gamme compte quatre modèles de 250, 320, 354 et 480 ch. Les deux premiers (Mammut 5800 et 6300) restent à motorisation six cylindres Volvo. Au-dessus, les Mammut 6800 et 7800 reçoivent un V8 Mercedes de 14,6 litres de cylindrée. A l’avant, ces machines supportent des becs maïs à 4, 6 et 8 rangs. Pour l’herbe, l’offre en pickups compte trois modèles de 2,10 m, 3 m et 4,20 m. Soucieux d’augmenter la diffusion des automotrices, le groupe Bidell passe un accord avec Massey-Ferguson. La gamme Mammut endosse la couleur rouge et peut être commercialisée dans certains réseaux du tractoriste, sauf en Allemagne.

Dernière série d’ensileuses développée et construite par Mengele, la Mammut sera, durant très peu de temps, commercialisée sous les couleurs Massey-Ferguson.

L’ensileuse 8790 est issue d’un développement conjoint entre les bureaux d’études de Mengele et de Fortschritt. Dans l’ex-bloc de l’Est, la machine sera commercialisée aux couleurs Mengele, mais sous la marque Fortschritt.

1994, c’est aussi l’année où Bidell achète une partie de l’ancien conglomérat est-allemand Fortschritt et son usine de Neustadt. Après l’effondrement du bloc communiste, le site qui a employé jusqu’à 6400 personnes, est à bout de souffle, usé jusqu’à la corde, pollué. Parmi ses différentes fabrications, pour la plupart technologiquement dépassées, figure une gamme crédible de presses à haute densité : les Fortschritt 530, 540 et 550. Elles confectionnent des balles d’une section de 70x80, 70x120 et 85x120. Les machines abandonnent leur ancienne couleur vert olive pour endosser le bleu Mengele et partir à la conquête des fermes de l’Ouest. Dans les réseaux comme chez la clientèle, ces presses sont plutôt bien accueillies. Mengele se fait une petite place sur le marché de la haute-densité. Toutefois, dans certains pays comme la France, la marque peine à être diffusée partout, à cause d’un réseau qui ne couvre pas tout le territoire. Elle doit aussi jouer des coudes face à une concurrence qui a quelques années d’avance sur ce terrain et dispose d’un réseau plus étoffé.

Créées dans l’ex-Allemagne de l’Est sous les couleurs Fortschritt, les presses à haute densité 530, 540 et 550 passent chez Mengele en 1994. Elles aussi vont endosser le rouge Case IH, avant d’être cédées au groupe italien Argo (Landini, McCormick, Laverda), qui finira par en arrêter la fabrication. John Deere a également été sur les rangs pour s’offrir ces machines.

Bidell fait remonter la pente à Mengele. Le chiffre d’affaires reprend des couleurs mais, toujours pour les mêmes raisons, la rentabilité n’est pas au rendez-vous. D’autant que Neustadt est un véritable gouffre. Au moment du rachat par Bidell, Fortschritt croulait sous les dettes. Dans un contexte de réunification et de réindustrialisation, le Land de Saxe en avait épongé une partie, à hauteur de 12,6 millions de deutschemark (DM). Mais l’hémorragie ne s’est pas arrêtée : entre 1994 et 1998, Neustadt cumule 90 millions de DM de pertes, menaçant d’entraîner le groupe Bidell vers la faillite. Aculé, celui-ci se sépare de Mengele, qui passe aux mains de Case Corporation au début de 1998. Pour emporter la mise, le groupe américain a épongé une partie des dettes. Il s’engage en outre à maintenir 400 emplois à Neustadt et à y investir 44 millions de DM à l’horizon 2002. Pour amortir un tel montant, Case IH va faire de Neustadt son centre d’excellence européen pour les matériels de récolte. La fabrication des ensileuses s’y trouve donc transférée. La chaîne de montage continue de produire les presses haute densité. Case IH a par ailleurs récupéré la marque de moissonneuses-batteuses MDW, issues de l’ancien conglomérat Fortschritt. Cette gamme conventionnelle rebaptisée Cross-Flow est prévue pour venir en complément des Axial-Flow en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient. Bien entendu, toute la production passe sous les couleurs de Case IH. Le bleu et la marque Mengele restent uniquement sur les remorques, épandeurs et remorques autochargeuses, qui ne font pas partie du paquet repris par Case Corporation. Pour Case IH et son réseau, c’est le branle-bas de combat. Des moyens énormes sont consacrés à la promotion des nouvelles machines entrées au catalogue, à la mise en route de toute la logistique pièces, mais surtout à la formation technique et commerciale au sein des réseaux.

Ultime développement des bureaux d’études de Mengele et de Fortschritt, la Mammut 8790. Elle est lancée en 1997 sous les couleurs Mengele, mais va très vite prendre la livrée rouge Case IH et la cabine empruntée aux moissonneuses Axial Flow.


Patatras : fin 1999, le groupe Fiat, qui a déjà acheté New Holland en 1991, s’empare de Case Corporation et crée CNH Global pour chapeauter les activités dans la machine agricole. Le groupe est « invité » par les autorités antitrust à lâcher certaines de ses activités. Les presses haute densité passent chez le groupe Argo (Landini et bientôt McCormick), qui en transfère la fabrication dans son usine Laverda de Breganze (Italie). Après quelques années sans grand succès commercial, cette activité va par la suite être abandonnée. CNH Global décide par ailleurs d’arrêter la fabrication des moissonneuses Cross-Flow et des ensileuses Mammut. Cela se comprend. Malgré quelques remises à jour et la sortie de la 8790, un mastodonte de 544 ch, la gamme d’automotrices accuse un retard technologique de plus en plus prononcé par rapport à la concurrence. Le marché mondial absorbe bon an, mal an 1500 à 2000 automotrices, dont la moitié viennent de chez Claas. CNH Global n’a pas intérêt à investir sur ce créneau et à créer une concurrence interne avec les ensileuses New Holland. Il choisit donc de passer aux couleurs Case IH la gamme des automotrices FX, fabriquées chez New Holland à Zedelgem (Belgique). Un choix qui ne sera pas pérennisé. Case IH n’aura bientôt plus d’ensileuse au catalogue, mais garde sous ses couleurs la gamme de presses haute densité elle aussi issue de l’usine de Zedelgem.
Conséquence de toutes ces décisions : CNH Global ferme site de Neustadt, qui parvient à se reconvertir en passant aux mains d’un fabricant de caravanes.

Le chant du cygne
A Günzburg, c’est la douche froide. En 1998, le site se retrouve sous la tutelle d’un administrateur de faillite. Il restait 450 salariés au début de l’année. Ils ne seront plus que 150 quelques mois plus tard. Des discussions ont été entamées avec des marques concurrentes dans la machine agricole, mais elles n’ont pas abouti. Seule la division des machines-outils GWF intéresse des repreneurs, tout comme la petite unité de Waldstetten, à quelques kilomètres de là. Une soixantaine de salariés y fabriquent bennes basculantes, épandeurs et remorques autochargeuses, toujours sous la marque Mengele. Pour ne pas laisser voir qu’il était sur une mauvaise pente, le groupe Bidell a continué jusqu’au bout de fabriquer des machines, sans qu’il y ait un bon de commande derrière. Elles sont entassées par centaines sur les parkings à Günzburg.

En 2010, les pelleteuses finissent de démolir ce qui restait de l’usine Mengele : les bâtiments administratifs. Tout le site a été rasé pour laisser la place à un supermarché et un cinéma.

Sans repreneur et obsolète après des décennies sans investissements majeurs, le site est progressivement démantelé. Après les récupérateurs, puis les ferrailleurs, arrivent les démolisseurs. En 2010, leurs pelleteuses finissent de mettre par terre le peu qui restait de la splendeur de Mengele : les bâtiments administratifs. Bientôt, ce sera place nette. Les terrains ont été achetés par la municipalité de Günzburg. Elle délivre des permis de construire pour l’installation d’un cinéma, d’un supermarché et de leurs vastes parkings, qui se retrouvent presque au centre-ville. Un siècle plus tôt, Mengele s’était installée en périphérie d’une bourgade de 3800 habitants. Au moment de sa fermeture, l’usine était ceinte de toutes parts. La petite bourgade est devenue une ville de presque 20 000 habitants.

La fin de la fin
Au début des années 2000, la marque Mengele continue d’être apposée sur des bennes basculantes, épandeurs et remorques autochargeuses produites à Waldstetten. Le site a été repris par un investisseur (Bohnacker AG). Sa production continue d’intéresser une clientèle surtout allemande. En 2010, cette entité, qui s’appelle désormais Mengele Agrartechnik, est reprise par le Néerlandais Lely. Celui-ci fabrique de longue date des machines de fenaison à Maasluis (Pays-Bas). Il y a ajouté les presses à balles rondes en achetant l’usine Welger de Wolfenbüttel (Allemagne). Avec la gamme d’autochargeuses et de remorques ensileuses reprise à Mengele Agrartechnik, il dispose ainsi d’une offre complète pour la récolte de l’herbe. La décision est prise d’arrêter la production d’épandeurs et de bennes basculantes. Mais changement de cap en 2017 : Lely décide de se concentrer uniquement sur ses activités dans la robotique des élevages. Il annonce qu’il arrête la production des faucheuses, faneuses et andaineurs à Maasluis, puis cède ses usines de Wolfenbüttel et de Waldstetten au groupe Agco (Fendt, Massey Ferguson, Valtra). La première fabrique des presses à balles rondes aux couleurs de Massey Ferguson et de Fendt. La seconde ne produit que des remorques autochargeuses aux couleurs de Fendt. Mais en 2022, Fendt a transféré cette activité à Wolfenbüttel, ce qui a conduit à la fermeture de Waldstetten. Clap de fin pour le dernier des sites ayant un jour produit des machines agricoles Mengele. A Günzburg, différents chantiers ont aussi conduit à la démolition d’anciens lotissements construits après-guerre pour le personnel de Mengele. Restera-t-il un jour un morceau de bâtiment ex-Mengele, ne serait-ce que de la taille de celui qui a vu naître l’activité voilà 150 ans ?

 

Mengele a fabriqué des pelles mécaniques pendant vingt ans. L’activité va être cédée à Faun, un fabricant de grues, en 1978

 

Vogel & Noot est à la base un intervenant de poids sur le marché de la charrue. Dieter Mengele va diversifier l’activité de l’entreprise avec une gamme dans le travail du sol, le semis et la pulvérisation.

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