Fiat représente un acteur de poids dans le paysage agricole international. Dans l'Hexagone, ces tracteurs transalpins sont tout d'abord commercialisés sous le label Someca puis sous celui de Fiat Someca. L'arrivée sur le marché de la série Nastro d'Oro marque une longueur d'avance pour le constructeur turinois. Tracteur de 130 ch comme sa dénomination l'indique, le 1300 apparaît en 1974. Représentant le tracteur le plus puissant de la gamme Fiat Someca, il est disponible sous deux profils, deux roues motrices et quatre roues motrices. Se nommant TD (pour Traction Double), cette version 4x4 est généralement choisie par les entrepreneurs et les exploitants des exploitations les plus conséquentes.
Bâti pour l'endurance, le Fiat Someca 1300 DT Super était un modèle d'équilibre et d'endurance. Nombre de ceux qui l'ont utilisé à l'époque en conservent un excellent souvenir. Aujourd'hui, ce modèle représente le Graal de nombreux passionnés de l'aventure Fiat Someca.
En 1975, la gamme Fiat Someca arbore une nouvelle combinaison de couleurs. Si les éléments de carrosserie conservent leur livrée orange, l'ensemble de la partie motrice et structurelle du tracteur adopte désormais une livrée marron foncé en lieu et place du bleu. En 1978, le 1300 Super vient remplacer le 1300. Bénéficiant d'une puissance accrue (145 ch), cette ultime évolution est bien entendu toujours disponible en version 4x4, dont la dénomination est passée de TD à DT (Double Traction).
La puissance du 1300 Super est supérieure de 15 ch à celle du 1300. Destiné aux entrepreneurs et aux exploitations les plus conséquentes, la version DT a particulièrement marqué son époque.
Jean-Claude Lefevre, agriculteur retraité dont l'exploitation était basée au nord de l'Ille-et-Vilaine avait acquis un 1300 DT Super neuf et nous livre son témoignage. « Le Fiat Someca 1300 DT est venu remplacer sur mon exploitation un Massey Ferguson 1080 RT, qui je dois l'avouer ne m'avait convaincu à rester fidèle à Massey. Le 1300 m'a quant à lui laissé un excellent souvenir. C'est un tracteur bâti pour l'endurance. Plutôt coupleux et très équilibré, il témoigne d'une adhérence exceptionnelle. J'ai effectué beaucoup de labour à son volant, domaine où il excelle par ses performances et son endurance. Je travaillais soit avec une Huard 4 socs sur des terres difficiles, soit à l'aide d'une Kverneland 5 socs, poursuit l’agriculteur. Je l'ai également beaucoup sollicité à la préparation du sol à l'aide d'une herse rotative de 3,50 m de large dans les conditions optimales. L'étagement de la boîte de vitesses à travers sa triple gamme était efficace, tout au moins au niveau du travail aux champs. »
Le 1300 DT Super est équipé d'une mécanique 6 cylindres diesel OM CP 3/100-17 d'une puissance de 145 ch.
L'ensemble moteur / embrayage / boîte de vitesses / ponts s’avère robuste au fil du temps. Bénéficiant d'une capacité de levage de l'ordre de 5,9 tonnes, le relevage hydraulique du 1300 allie précision et performances. Enfin, de l'ordre de 20 litres à l'heure, la consommation en carburant est plutôt raisonnable pour un tracteur de cette envergure. « A mon point de vue, le 1300 DT Super n'avait rien à envier à ses concurrents produits Outre-Atlantique », termine Jean-Claude Lefevre. Parmi les seules ombres au tableau, l’agriculteur relève le fait qu'il aurait été préférable de disposer de rapports croisés au niveau de la transmission en lieu et place de rapports en progression, notamment lorsque que le tracteur sert au transport. En effet, dans le cadre de la traction d'une charge importante, la boîte de vitesses et l'embrayage sont particulièrement sollicités dans la configuration originelle du 1300.
Vue plongeante sur la direction et la planche de bord. Cette dernière se compose de deux cadrans circulaires Veglia. Le cadran de gauche est un compte-tours faisant également office d'horotachymètre alors que celui de droite rassemble les fonctions de thermomètre et de jauge à carburant. A gauche du volant se trouve le levier du sélecteur de gamme et à droite le sélecteur principal. Le schéma de chacune des grilles est rappelé par un adhésif disposé à proximité de chacun de ces leviers.
1300 en terres bretonnes
Le 1300 DT Super qui illustre ces pages est la propriété d'un collectionneur costarmoricain déjà connu des lecteurs de Tracteur Rétro puisqu'il s'agit de Jean-Jacques Le Rat. Jean-Jacques nous avait présenté sa collection dans le N°44, puis son Someca 615 dans le N°65. L'histoire qui le lie avec ce 1300 DT Super est peu commune. Comme pour tout passionné de Someca, le 1300 DT Super représentait pour lui un Graal. En 2007, son attention est interpellée par la mise en vente d'un tel tracteur sur une exploitation de l'Eure : cap sur la Haute-Normandie ! Rigoureusement entretenu par son propriétaire, le tracteur témoigne de 6 700 heures au compteur. L'état général de ce 1300 qui a beaucoup travaillé de concert avec une désileuse et une grosse herse sur cette exploitation de 300 hectares est plutôt convaincant. Bref, notre breton se laisse tenter !
Sur le fil de son parcours, Jean-Jacques Le Rat a possédé un certain nombre de modèles de toutes marques. C'est bien connu, on revient très souvent à ses premiers amours en matière de collection. Aussi notre breton s'est-il focalisé sur la marque Someca. La première pierre de cet édifice laqué d'orange fût un 615, acquis en 1983. Aujourd'hui, la collection se compose d'un DA50 de première génération, d'un Som 40, d'un 511, d'un 640, d'un 1000 à deux roues motrices et pour clore la parenthèse sur une tonalité « Terra-Cota » d'un Fiat 80-88 qui est régulièrement de service dans l'entretien de ses pâtures.
Une fois rapatrié dans les Côtes d'Armor, le DT Super bénéficie d'une petite cure de jouvence. « Nous l'avons rafraîchi en famille, avec la contribution significative de mes enfants Baptiste et Marie, indique Jean-Jacques. Nos dimanches étaient donc régulièrement rythmés par la remise en état du 1300. Le tracteur a bénéficié d'une révision générale et d'une nouvelle peinture. Une fois terminé, il représentait l'une des plus belles pièces de la collection. »
Après avoir été rafraîchi, le 1300 DT Super a rejoint l'antre de Jean-Jacques Le Rat quelques mois plus tard où l'orange Someca est majoritaire. Il sera revendu en 2011... avant d'être racheté en 2017.
En 2011, Jean-Jacques est contacté par un professionnel du débardage de La Feuillée, en centre Bretagne, qui souhaite acquérir un tel tracteur. « J'estimais à l'époque avoir beaucoup trop de modèles à entretenir et j'ai donc cédé mon 1300 à cette personne. Les regrets se sont rapidement fait ressentir, mais il y a des périodes dans la vie où on ne prend pas toujours les bonnes décisions. J'ai néanmoins poursuivi ma route de passionné de Someca en restaurant mon 1000 et mon 615, à l'origine de ma passion pour les tracteurs. J'ai également acquis sur cette période un 640 entièrement restauré. »
Revendu puis racheté pour l'éternité !
« En fin d'année 2017, je me suis mis en quête de « mon 1300 ». C'est celui-là que je voulais racheter et pas un autre. Le fait que nous l'avions refait en famille avait un impact très fort d'un point de vue sentimental. » Jean-Jacques se met donc dans la peau du « Sherlock Holmes » et recherche son Someca. Bien entendu, les coordonnées de l'acquéreur de son tracteur n'étaient plus valables. Après quelques coups de téléphone à travers la bourgade de La Feuillée, il apprend que son contact réside toujours dans le village. Pour avancer d'une manière significative, il décide de se rendre sur place. Au terme d'une heure de porte à porte, Jean-Jacques finit par localiser le domicile de son acheteur du 1300. Il y trouve porte close, mais il aperçoit son ancien tracteur au détour d'une allée. Choc émotionnel garanti ! Le 1300 est toujours vivant, mais il semble avoir beaucoup souffert. Le propriétaire des lieux étant absent, il envisage de retenter sa chance ultérieurement. La persévérance paie toujours. Jean-Jacques revient donc sur les lieux dès la semaine suivante. Un rideau bouge lentement après qu'il ait frappé à la porte. Cette dernière s'ouvre quelques minutes plus tard dans un grincement digne d'un film d'Alfred Hitchcock. Cet ancien professionnel du débardage a été victime d'un accident, ce qui l'a lourdement handicapé. Le contact s'établit, mais pour cette personne, il est une chose qui est évidente, le 1300 DT Super n'est pas à vendre ! Sur le fil de la conversation, Jean-Jacques lui rappelle son enthousiasme et sa passion pour les tracteurs de la marque et lui fait part de ses regrets de l'avoir vendu. La réponse du propriétaire demeure négative et Jean-Jacques lui laisse néanmoins sa carte de visite en lui faisant une proposition chiffrée, tenant compte de l'état de décrépitude avancée du tracteur, qui est sans commune mesure avec celui dans lequel Jean-Jacques lui avait vendu. Peu entretenu, le tracteur était stocké dans de mauvaises conditions et, de surcroît, un arbre était tombé sur la cabine. Les semaines passent et l'espoir de pouvoir de nouveau acquérir son ex tracteur s'amenuise pour Jean-Jacques Le Rat. Et puis un jour, il reçoit un coup de fil de la part du propriétaire du tracteur lui stipulant qu'après réflexion, il pouvait être vendeur. Les deux hommes finissent par s'accorder et, le 1300 peut alors rentrer au bercail aux côtés de ses congénères. Place au chapitre suivant !
C'est dans cet état que Jean-Jacques Le Rat a retrouvé « son 1300 » DT Super en fin d'année 2017. Ayant manqué d'entretien, le tracteur avait été quelque peu malmené à travers son activité forestière.
Un nouveau départ
Si le 1300 n'avait effectué que 300 heures de débardage aux mains de son ancien propriétaire, il avait beaucoup souffert durant les six années où il avait été entre ses mains, notamment au niveau de la tôlerie. « Lui redonner une seconde jeunesse représentait pour moi un défi, déclare Jean-Jacques. Je savais également que je pouvais compter sur l'aide et les conseils avisés de quelques amis - eux aussi collectionneurs de Someca- dans le cadre de cette restauration. » Le chantier a démarré par la dépose de l'ensemble des éléments de carrosserie. Le contrôle de la mécanique n'a pas révélé de faiblesse particulière. Le vilebrequin et l'ensemble chemises / pistons s'est révélé en parfait état. Injecteurs et soupapes ont été contrôlés. Le radiateur a été refait de A à Z par un spécialiste. L'ensemble des bagues et des rotules de l'essieu avant a été changé, tout comme l'orbitrol de la direction et les joints de la prise de mouvement du pont-avant. Ont également été remplacés les joints de la prise de force, du bloc relevage et de la commande de freins. Faussée, l'une des chandelles du relevage hydraulique a dû être remplacée. Axes et bagues de vérins ont eux aussi été remplacés. Jantes et voiles de jantes étant irrécupérables, il a été nécessaire d'en trouver un jeu en bel état. L'ensemble a été déniché auprès d'un professionnel de l'Orne. A son arrivée, il a été sablé et métallisé puis chaussé à neuf après mise en peinture. Côté tôlerie, le chantier était titanesque. La face avant avait subi moult accrochages et était quelque peu déformée. Même constat au niveau des ailes qui, de surcroît étaient passablement froissées de par une utilisation peu délicate du tracteur. A force de patience et de persévérance et grâce à la contribution de quelques amis passionnés, le 1300 a progressivement retrouvé son profil originel. Chalumeau, maillet, cale à poncer ont été le quotidien des loisirs de Jean-Jacques Le Rat et de ses acolytes « fondus de Someca » durant plusieurs semaines. S'en sont suivies la mise en apprêt du tracteur, plusieurs séances de ponçage puis le passage d'une peinture témoin avant laquage final du tracteur dans ses teintes originelles.
La cabine Siac d'origine était difficilement récupérable après avoir subi la chute d'un arbre sur sa partie supérieure, ce qui l'a intégralement déformée. Jean-Jacques Le Rat et ses amis ont donc choisi de configurer ce 1300 DT Super dans l'esprit des exemplaires que l'on peut rencontrer en Italie. L'arceau d'origine a été conservé et le tracteur est désormais coiffé d'un dais.
La cabine étant irrécupérable et quasi introuvable sur le marché, Jean-Jacques a décidé de configurer son tracteur dans l'esprit des Fiat 1300 que l'on peut rencontrer en Italie, avec un dais surplombant l'arceau d'origine. Le faisceau électrique a été refait de A à Z. Les logos sérigraphiés ont été reproduits à l'identique par un atelier local spécialisé. Le tracteur a effectué ses premiers tours de roues en janvier 2019. « Je me suis promis de ne jamais le revendre ! » Jean-Jacques aux côtés de ce 1300 qui lui a fait vivre mille et une aventures. Aujourd'hui, le 1300 compte parmi les joyaux de la couronne de cet océan costarmoricain laqué d'orange Someca. De temps à autre, Jean-Jacques prend plaisir à solliciter les chevaux de son 1300 en prêtant main forte à son ami et voisin Marcel Ruellan dans les transports de blé avec une benne Chevance Farmer 17 tonnes. Voilà qui permet d'oxygéner cette mécanique bâtie pour l'effort et l'endurance.
Un grand merci à la famille Le Rat pour son accueil et sa disponibilité dans le cadre de ce reportage. Merci également à Jean-Claude Lefevre et Stéphane Simon, passionnés chevronnés en matière de Fiat et Someca.
Rares sont les 1300 à avoir été restaurés jusqu'à présent, leur entrée dans le domaine des tracteurs de collection étant relativement récente. Si celui-ci n'a plus tout à fait sa configuration d'origine de par la dépose de la cabine Siac qui était irrécupérable, il compte certainement parmi les plus beaux exemplaires en circulation dans l'Hexagone.