Sillon d'histoire Tracteur RétroTracteurs Schlüter : les ours bavarois

Tracteurs Schlüter : les ours bavarois

Né en 1867, Anton Schlüter fonde en 1899 un atelier de réparations mécaniques dans lequel il commence ensuite à fabriquer des moteurs. Débutant la construction des tracteurs en 1937, l’entreprise familiale allemande va acquérir en quelques décennies une renommée internationale que tous les collectionneurs respectent encore aujourd’hui. Texte : Gilles Blanchet - Photos : DR et GB

Après la perte de ses parents à l’âge de huit ans, Anton Schlüter pense devenir prêtre. Son tuteur lui enseigne la mécanique et, finalement,  le jeune homme mène à son terme une formation de mécanicien. Puis, il part sur les routes. Il se marie à Freising, une ville située à 40 km au nord de Munich. Son épouse donne naissance à un fils en 1888. Un an plus tard, après différents emplois dans des exploitations agricoles, il achète, comme entrepreneur de battage, un petit atelier à Munich et prend la représentation d’un fabricant de moteurs.

Cette publicité de 1912 vante les moteurs de précision réalisés par Anton Schlüter et adaptés à l’essence, au benzol et au gaz pauvre. Il garantit une consommation limitée de carburant et une sécurité de fonctionnement.

L'entrepreneur élargit ensuite son activité et ouvre un atelier de construction mécanique.  Ce qui l'amène, en 1905, à démarrer la fabrication de moteurs stationnaires, puis d'acheter l'usine de machines Otto Schülein. Dix ans plus tard,  Anton Schlüter dirige une entreprise qui emploie près de 600 ouvriers. Il a compris très tôt que l’avenir était au moteur diesel, mais la technique en est encore à ses balbutiements. La mise en route pose encore bien des difficultés. A l’époque, les moteurs démarrent entre autres à l’aide d'une réserve d'air comprimé. Le personnel qui les utilise ou les répare est souvent dépassé par la technique.

La marque a acquis très tôt une large notoriété avec les moteurs stationnaires diesel, tel ce 6 ch monté sur chariot.

En 1912, Anton Schlüter hérite d’une ferme dans la banlieue munichoise, qui deviendra par la suite un centre expérimental. Trois ans plus tard, il bâtit une nouvelle usine, toujours à proximité de Freising. Déjà, Anton Schlüter sait qu’il ne veut pas d’une usine classique et rigide. Heilmann & Littman, à Munich, et Steinecker, à Freising, lui proposent une nouvelle vision de l’architecture industrielle.

 

Vue aérienne de l’usine III de Freising près de Munich avec ses deux tours caractéristiques.

Avec ses deux tours caractéristiques et des halls de montage aux formes harmonieuses, Anton Schlüter conçoit un monument de la culture industrielle.
A la fin de la Première Guerre mondiale, les restrictions de carburant apparaissent. Au même moment, s’accentue le développement et la production de moteurs à boule chaude. Toutefois, la longue procédure nécessaire à leur mise en route constituait un vrai handicap.

Les moteurs fixes de la marque sont très largement collectionnés en Allemagne. Ils ont largement contribué à la renommée du constructeur dans le monde.

En 1921, Schlüter livre des moteurs diesel de 5 à 300 ch dans le monde entier. Toutefois, la technologie des moteurs à boule chaude ne donne pas satisfaction au chef d'entreprise. Son idée de génie viendra de la mise au point d’un procédé de chambre pivotante. Pour le démarrage à froid, un tiroir en forme de cuiller s’ouvre, le moteur démarre en mode « injection directe » et se met en route sans bougie de préchauffage. Un fois démarré, le moteur fonctionne comme un diesel à chambre de turbulence.

Une rare publicité en français présentant les moteurs stationnaires fabriqués à Munich dans deux usines.

Dans les années trente, Schlüter met ce procédé en application sur tous les moteurs diesel. Il l’utilise en 1937 sur son premier tracteur, le DZM 14 avec châssis. Ce dispositif reste l’une des marques de fabrique de Schlüter jusqu’en 1957.

L'un des premiers tracteurs diesel Schlüter au travail dans la campagne allemande.

De 1938 à 1956, la firme construit près de 18 000 tracteurs, soit environ 40% de la production totale réalisée jusqu’en 1993. En janvier 1938, le constructeur se lance dans la production en série et, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, étend largement sa gamme.
Dès 1942, à cause du manque de carburant, les modèles apparaissent en versions routière ou agricole à gazogène et les usines se tournent vers la production de groupes électrogènes.

 

Ce modèle GZA 25 à gazogène de 1942, exposé au musée agricole de Hohenheim, semble être le seul rescapé des années de guerre.

Jusqu’en 1956, les « Breitnasen » (ou gros nez) vont acquérir une belle réputation. Début 1957, une nouvelle gamme à la silhouette efflanquée et au refroidissement à air annonce un changement de génération. La fabrication de ces modèles démarre à Freising avec le DZM 15, reprenant une recette qui fonctionne avec Fendt, Lanz Aulendorf et Kramer : un moteur stationnaire installé sur un châssis. Le monocylindre diesel fonctionne selon un schéma utilisé jusqu’en 1956 sur tous les modèles de la marque. L’injection directe permet le démarrage grâce à un système de chambre pivotante. Grand frère du DZM 15, le DZM 25 dispose d’un bicylindre. Les premiers exemplaires de ce modèle sont livrés en mars 1938. Un moteur de 2,4 l puis un 2,7 l de cylindrée  permettent des ventes supérieures à 1000 unités.
L’arrivée des années de guerre conduit à la création d’un modèle agricole GZA 25 (4 litres de cylindrée et une puissance 25 ch) avec générateur placé frontalement au train avant. Il est complété du GZV 25 destiné aux transports routiers. Un moteur commun aux Deutz, Güldner et MWM est monté avec des pièces souvent interchangeables.

Premier modèle d’après-guerre le DS 25 apparaît en 1949, adieu les tracteurs à gazogène !

Le premier modèle apparu après-guerre est le DSU 25, suivi en mai 1948, du DS 25 avec nouveau moteur et boîte de vitesses ZF à 5 rapports. L’année suivante, changement esthétique, le DS 25 présente une nouvelle grille en deux parties, des capots enveloppants et surtout une boîte Renk à 7 rapports, autorisant une vitesse de plus de 30 km/h. En cinq ans, Schlüter en construit 3655 exemplaires. La motorisation progressive des petites exploitations allemandes dans les années cinquante favorise la catégorie des moins de 20 ch. Le DS 15, né en février 1950, remplit le contrat avec 4212 exemplaires vendus. A cette date, le constructeur exporte dans 29 pays.

 

Schlüter DS 15 (15 ch) à moteur monocylindre 1610 cm3 et boîte de vitesses ZF ou Renk

Pour élargir son offre, Schlüter propose un modèle 15 ch (AS 15) équipé d’un monocylindre et d’une boîte 5 rapports réalisée par Hurth. Cet équipement se retrouve sur le petit bicylindre AS 22 sorti en juin 1953, complétant une niche (entre 17 et 28 ch) qui s’avère payante avec 2706 exemplaires produits.

Produit de 1953 à 1956 le AS 25 reçoit un monocylindre de 15 ch, d'une cylindrée de 1506 cm3.

Faisant évoluer ses modèles à petits pas, Schlüter joue sur les cylindrées, boîtes de vitesses et empattements. Il présente en novembre 1954, l’AS 30, équipé d’hydraulique. L’AS 45 (3 cylindres et 4,8 litres de cylindrée avec 50 exemplaires vendus) annonce la construction des gros tracteurs, mais l’AS 55, lancé en octobre 1956, ne se classe pas encore parmi les plus puissants des tracteurs allemands à roues, qui se atteignent, vore dépassent les 60 ch. Les 12 exemplaires sortis de chaîne furent exportés en totalité (Espagne, Grèce et Hollande).

 

Anton Schlüter croyait au rôle essentiel de la publicité, comme avec cette illustration destinée aux clients et présentant les moteurs et tracteurs diesel.

Publicité 1954 présentant l’AS 15 apparu l’année précédente et les modèles destinés aux moyennes exploitations.

Le cœur du créateur ne battait que pour l’agriculture et, malgré la destruction quasi totale de ses usines de Munich et Freising, l’entreprise familiale s’est remise en marche au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Un événement inattendu allait toutefois secouer la famille Schlüter en 1949 avec la disparition du fondateur Anton Schlüter. Son fils aîné (Anton Schlüter II) reprend le flambeau et dirige l’entreprise jusqu’à sa mort tragique en 1957. Petit fils du fondateur, l’ingénieur Anton Schlüter III, prit la succession. Il décida de proposer des engins à refroidissement par eau et par air. Anton Schlüter III rêvait de construire, sur le modèle des USA, des tracteurs allant de 50 à 500 ch. Il initia les Schlüter Tage (journées Schlüter) dans l’enceinte de la propriété familiale, qui furent pendant des décennies une manifestation agricole majeure en Allemagne, avec près de 30 000 visiteurs chaque année.

 

« Solide et fort comme un ours » : la série Super annonce la montée en puissance vers les tracteurs géants.

Dans le courant de l’année 1962, Schlüter a adopté un nouveau design (signé par le Français Louis Lucien Lepoix) pour ses modèles avec un capot plus large, un logo facilement identifiable adoptant le slogan que tous les amoureux des tracteurs associent à la marque : « Bärenstark », (Fort comme un ours). Le S 450 d’une puissance de 42 ch est le premier jalon de la nouvelle génération. Les nouveaux moteurs de 3 à 8 cylindres complétés par les boîtes ZF de la série 200 trouvent aussi une large diffusion pour les ensembles stationnaires, pompes ou générateurs.
L’année suivante, le premier 4-cylindres de série est réalisé. Ce S 650 de 56 ch est aussi proposé en version 4 roues motrices (appellation V pour Vierradantrieb). La firme munichoise s’efforce d’améliorer les conditions de travail de l’agriculteur (passage des vitesses directement sur le tunnel de boîte, luxueux double siège, cabine confortable à toit (Fritzmeier).

 

Le S 900 (6 cylindres de 80 ch) fut fabriqué entre 1964 et 1966. Il annonce la production des gros tracteurs et l’arrivée de plusieurs nouveautés (moteurs 4 et 6 cylindres, 4 roues motrices…).

A partir de 1964, Schlüter se spécialise dans la production de gros tracteurs parmi lesquels les séries Super (jusqu’à 280 ch) et Super Trac avec quatre grosses roues de diamètre identique jusqu’à 320 ch. Les séries de petits tracteurs sont maintenues sous l’appellation Compact (68 à 95 ch). La cabine de sécurité Traktomobile présentée en 1966 sur un modèle Super 550 reste d’actualité. Deux ans plus tard, la firme propose des 120 et 150 ch à embrayage automatique hydraulique.

 

Ce 1600 TVL (4 roues de même diamètre) a bénéficié d'une restauration que le ramène à l'état du neuf.

1978 reste une année phare pour Schlüter, qui présente le plus gros tracteur d’Europe, le 500 ch, équipé d’un moteur turbo MAN 12 cylindres et de 21 litres de cylindrée. Une commande de 15 Profi Trac passée par le chef de l’état yougoslave Josip Tito pour les kolkhozes de son pays semble assurer l’avenir de l’usine munichoise. Une fabrication en série fut même envisagée, mais rapidement abandonnée avec le changement de situation politique en 1990.

L’Euro Trac 1700 fabriqué entre 1991 et 1995 fut récompensé comme modèle de design industriel avec sa cabine symétrique. Sa motorisation est d'origine MAN.

En 1989, bien qu’une nouvelle gamme d’Euro Trac soit présentée, la marque munichoise  a été rattrapée et dépassée par la concurrence. L’usine de Freising cesse toute activité en 1993 et la production de 32 Euro Trac est transférée chez le fabricant de machines agricoles Schönebeck AG en Saxe (ex RDA). On en vend encore quelques exemplaires avant l’arrêt complet en 1995. Quatre ans plus tard, Anton Schlüter disparait. L’ère des tracteurs « solides comme des ours » s’achève ainsi tristement après un siècle de prospérité et de réussite.

 

Entre 1991 et 1995, Schlüter lance sa dernière série de modèles Euro Trac 1900 et 2000 dont une partie fut fabriquée à Schönbeck.

L'usine de Freising est restée vide durant quelques années. Le Land de Bavière avait deux solutions : raser les bâtiments laissés à l’abandon ou réagencer l’espace pour un centre commercial. En 2009, la seconde solution fut retenue avec l’implantation d’un complexe industriel, mais malheureusement une grande partie des bâtiments fut rasée. Les vieilles tours de la fonderie ont été conservées avec la chaine de montage principale. Cet ensemble est devenu un centre d’attraction moderne. A l‘extérieur  et à l’intérieur, de nombreuses photos rappellent le passé des bâtiments, expliquant le développement du constructeur.  Un DS 15 des années 1950 restauré y est exposé en permanence.
A proximité de l’usine, le Schlüterhof construit en 1912, est l'ancienne propriété familiale de la famille Schlüter. C'est une construction impressionnante qui apparaissait souvent dans les brochures commerciales en offrant un arrière-plan séduisant. L’exploitation agricole familiale jouxtait cette propriété. Après y avoir passé la plus grande partie de son existence, Anton Schlüter a acheté les bâtiments à la fermeture de l’usine. Il s’est installé dans une petite maison au milieu du site. Depuis sa mort en 1999, la maison est bouchée avec des planches. Malgré cette triste image, il est heureux que la majeure partie de l’usine ait été sauvée d’une disparition totale afin de conserver le souvenir d’une majestueuse entreprise dont les produits sont aujourd’hui collectionnés et appréciés.

 

Réagir à cet article

Les dernières annonces de matériel agricole d'occasion

Sur le même sujet

Revue de détail Tracteur Rétro

Someca 615 : une force de la nature

Marque disparue
Collection Tracteur Rétro

Ghislain David : Hommage paternel

Sauvetage et découverte Tracteur Rétro
Presse à balles rondes

Les presses Vicon commandent le tracteur

Tracteurs viticoles

Faupin va distribuer Landini en Bourgogne

Récolte des fourrages

La faneuse Vicon aux 12 toupies atteint 13,4 m

Sillon d'histoire Tracteur Rétro

Citroën : un double chevron novateur

Sillon d'histoire Tracteur Rétro