La branche agricole du groupe Fiat a toujours véhiculé une image de tracteurs modernes et performants. En 1965, le constructeur turinois présente une toute nouvelle série nommée Diamante. Elle se compose de quatre tracteurs : le 215, le 315, le 415 et le 615. Pourquoi Diamante ? Comme vous l'aurez deviné, cette dénomination fait référence à la pierre précieuse, alliant une beauté fascinante à une résistance mécanique exemplaire. D'un point de vue technique, l'étude des quatre tracteurs composant cette série prometteuse est confiée à l'un des piliers du bureau d'études Fiat, notamment dans le secteur automobile : Emilio Martinotti. Le cahier des charges est le suivant pour la série Diamante : en marge d'être robustes et performants, les modèles doivent être accessibles d'un point de vue mécanique et aisés d'entretien. Dans la mesure du possible, ces tracteurs devront être composés de bases mécaniques déjà existantes et éprouvées sur d'autres tracteurs. L'esthétique de l'ensemble des tracteurs composant cette série doit être unifiée. Sur le même fil conducteur, ces « diamants » de l'agriculture doivent utiliser un maximum d'éléments standardisés. Voilà des pistes de travail qui permettront au constructeur de rationaliser les coûts de production et de proposer ces tracteurs à un tarif attractif. Fiat confie le design de la série Diamante à une entreprise de renom : Pininfarina.
Avec ses lignes fines et aiguisées, une mécanique robuste aux ressources inépuisables, un relevage hydraulique performant, le 615 disposait de nombreux atouts pour séduire les agriculteurs. En France comme en Italie, il sera très apprécié de ses utilisateurs.
Lorsqu'ils sont présentés, ces quatre modèles font sensation. Fines et aiguisées à l'image du diamant, les lignes audacieuses de ces nouveaux Fiat ne laissent personne indifférent. Rationnels, aisés d'utilisation, ces quatre Fiat ont bénéficié d'une conception soignée où le confort de travail et l'ergonomie sont au rendez-vous. Détaillons ces quatre modèles. Equipé d'un moteur bicylindre de 1135 cm3, le 215 descend en ligne directe du modèle La Piccola. Sa puissance est de 24 ch SAE. Le 315 dispose quant à lui d'un 4 cylindres de 1901 cm3, dont la puissance SAE est de 35 ch. Tracteur de 45 ch, le 415 est équipé d'un moteur 4 cylindres de 2270 cm3. Ce modèle est l'héritier du 411. Enfin, le 615 reçoit un 4 cylindres Diesel 4 temps de 4397 cm3, en provenance du 511, l'ultime évolution du Som 40. Sa puissance SAE est de 58 ch. Sur le territoire français, ces quatre modèles phares sont distribués sous la marque Someca.
Signées Pininfarina, les lignes étaient communes à l'ensemble des modèles composant la série Diamante. L'audace stylistique et la robustesse de ces modèles ont contribué à leur succès.
Les 215, 315, 415 et 615 sont strictement identiques à leurs homologues transalpins, à « l'étiquette commerciale » près. Représentant la branche agricole de la marque automobile Simca, Someca n'a pas tardé à recueillir la confiance des agriculteurs français, avec le succès qu'on lui connaît. Après avoir représenté un solide partenaire financier pour Someca, Fiat a pris le contrôle de la firme française durant la seconde moitié des années 60.
Vouant un véritable culte à Someca, Jean-Jacques Le Rat carbure à l'orange ! Après avoir possédé un Deutz D7807, quelques SFV, un Massey-Ferguson 165 et un Renault D22, Jean Jacques Le Rat a décidé de ne conserver que des Someca. « La collection se compose aujourd'hui d'un DA 50 et d'un Som 40 de première génération, d'un Som 511, d'un 640, d'un 1000 deux roues motrices et d'un 1300 DT Super et enfin d'un Fiat 80-88.
Ce 615 date de 1966. Nous l'avons rencontré chez Jean-Jacques Le Rat, un grand passionné costarmoricain de Someca. « Fils d'agriculteur, j'avais acheté ce 615 en 1983 auprès des établissements Joseph Gicquel à Lamballe, indique le propriétaire. Très réputés dans la région et parfois même bien au-delà, ces établissements étaient d'ailleurs concessionnaires de la marque sous leur entité précédente, les établissements Henri Féat. A son acquisition, le tracteur avait environ 5000 heures au compteur. Il en cumule aujourd'hui pas moins de 16 000 ! Des années durant, j'ai aidé mon père avec ce tracteur sur sa petite exploitation. Cette dernière était dotée jusqu'alors d'un seul tracteur, un Ferguson FF30 DS. Autant dire que l'arrivée du 615 a été perçue comme une petite révolution sur notre exploitation familiale ! J'ai fait beaucoup de labour avec ce tracteur, à l'aide d'une charrue bi socs HB1. De même, j'ai effectué pas mal de hersage sur cette période. »
Une poulie de battage était disponible en option sur le 615. Son diamètre est de l'ordre de 300 mm et sa largeur de 175 mm. Son régime est de 890 tours / minute.
Ce 615, Jean-Jacques ne l'a d'ailleurs pas acheté par hasard. En effet, cet exemplaire a appartenu sur une très longue période à un voisin de ses parents, Gabriel Traorel. Cette personne que tout le monde surnommait affectueusement « Gaby » était entre autres entrepreneur de battages. Il s'en servait de concert avec une batteuse Merlin. Cette Merlin, Jean-Jacques l'a d'ailleurs rachetée il y a 21 ans, ce qui lui permet de reconstituer régulièrement cet ensemble qui était très connu dans la région. Le 615 a permis à Jean-Jacques de préparer le terrain et le parc de sa propriété avant la construction de sa maison, le tracteur orange et bleu étant de toutes les corvées.
Tracteur vif et spontané, le 615 témoigne de ressources inépuisables. Hérité du Som 511, son moteur 4 cylindres de 4397 cm3 est de type OM-Fiat CO 2D 45. En passant du 511 au 615, cette mécanique gagne 3 ch supplémentaires. Les capacités de traction et l'adhérence du 615 demeurent tout à fait exceptionnelles.
Robuste, le 615 n'a nécessité qu'un minimum de travaux, à l'exception d'un joint de de culasse. Ce 615 mène Jean-Jacques sur les pas de la collection de tracteurs, avec une nette prédominance pour Someca. « Ma collection s'étant quelque peu tissée et structurée au fil des ans, j'avais décidé voici une bonne dizaine d'années de restaurer mon 615 une première fois. Cette opération fût menée de concert avec mes enfants, Baptiste et Marie.» Le plaisir des tracteurs d'hier, voilà une passion qui se partage chez les Le Rat ! Afin que le 615 soit digne de la collection, Jean-Jacques a entrepris une nouvelle restauration de son 615. « Cette fois, nous avons tout démonté, ajoute-t-il. L'ensemble des éléments de carrosserie a été sablé puis planés avant l'enduit, apprêtés et repeints. La mécanique a fait l'objet d'une révision intégrale et l'embrayage a été refait. Tous les jeux au niveau de la direction ont été repris. Bagues et roulements ont été changés. Les optiques de phares d'origine et leurs carénages caractéristiques ayant été changés sur le fil de la carrière du tracteur, il m'a fallu en retrouver d'autres. J'ai déniché ces derniers auprès avoir passé une petite annonce dans un journal local. Le faisceau électrique a été refait, les jantes ont été sablées et métallisées et les pneumatiques changés. Après avoir peaufiné la préparation des éléments de carrosserie, j'ai confié la peinture finale à un professionnel. »
A l'origine, le 615 était équipé de pneumatiques de dimensions 6.00-19. Celui de Jean-Jacques Le Rat est aujourd'hui chaussé en 7.50-20. A l'arrière, deux montes de pneumatiques étaient disponibles au catalogue Someca, 11-36 ou 14-28. Doté d'un empattement de 2,13 m, le 615 témoigne d'un certain équilibre, tant sur route qu'au travail. Tracteur tout en muscles, le 615 était aussi proposé au catalogue en variante AR. Celle-ci disposait du moteur OM-CO 1K-50 refroidi par air.
Aujourd'hui, ce 615 est en première ligne dans la collection de Jean-Jacques qui a décidé de se consacrer à 100 % aux Someca. « Bien qu'étant en semi-retraite, mon 615 reprend régulièrement du service, notamment dans le cadre du broyage où il est attelé à un Perfect de 3 mètres. De même, il fait un peu de hersage de temps à autre et tracte régulièrement une remorque Rolland qui lui est contemporaine. Le 615 représentait un tracteur extrêmement performant pour l'époque. L'étagement de la boîte de vitesses est optimal, la précision de son relevage hydraulique est époustouflante. Ses capacités inépuisables et sa robustesse m'ont toujours impressionné. » Il a bien quelques défauts ce Someca ? L'œil malicieux, notre interlocuteur costarmoricain nous répond « Honnêtement, j'en vois peu si ce n'est que le 615 aurait mérité de bénéficier d'une direction assistée et, refrain connu sur différents modèles de la marque, le fait que les goujons de culasse dont les filetages d'embase sont immergés au niveau du circuit de refroidissement. Dans le cadre d'un tracteur ayant été entretenu régulièrement et qui a toujours tourné au liquide de refroidissement, le risque d'usure prématurée est plus limité, mais pour tous ceux qui ont « carburé » à l'eau des années durant, l'état de conservation de ces derniers peut être assez désastreux, pouvant entraîner des travaux nettement plus conséquents au niveau du moteur. » Le 615 est un tracteur qui en impose de par sa carrure. Suspendu par une double lame d'acier, le siège coquille est doté d'un coussin et d'un dosseret soigneusement rembourrés et habillés de simili cuir. En tôle d'acier, la planche de bord est dotée de trois cadrans circulaires. On y retrouve, de gauche à droite, celui de la pression d'huile, le compte-tours, qui fait également office de totalisateur horaire, puis le thermomètre.
La planche de bord est en tôle d'acier. Peinte en noir, elle accueille de gauche à droite les cadrans de l'indicateur de pression d'huile, de l'horo-tachymètre qui fait également office de compte-tours et du thermomètre du circuit de refroidissement.
Le 615 dispose d'une double gamme de vitesses. Le 4-cylindres répond à la première sollicitation. Sur route comme au champ, le 615 se révèle être un tracteur coupleux. D'une vivacité époustouflante, sa mécanique n'a aucun mal à entraîner les 2640 kg de ce tracteur bâti pour l'endurance. Ancien agriculteur qui a beaucoup travaillé en Someca, Bernard Andrieux connaît particulièrement bien ces tracteurs. « Le 615 était assez proche du 511 dont il descendait en ligne directe, explique Bernard. Je confirme le point de vue de Jean-Jacques, le 615 bénéficiait d'un relevage aussi précis que performant. Ce modèle témoignait également d'une adhérence exceptionnelle et d'une capacité de traction époustouflante. »
Le levier de vitesses est légèrement recourbé, ce qui favorise l'accès à bord. A droite de ce dernier se trouve le levier du frein à main.
Le levier de gammes prend place sur le côté gauche du poste de conduite. Ce dernier agit sur le réducteur à pignons baladeurs intégrant la partie avant du carter de la boîte de vitesses. Trois positions sont possibles. Actionné vers le haut, il enclenche la gamme lente. Au milieu se trouve le point mort. Actionné vers le bas, le levier actionne la gamme rapide.
Une petite plaque en aluminium rappelant le schéma de la grille de vitesses est disposée en avant du levier de vitesses. Elle rappelle également les différentes étapes de mise en marche du tracteur.
Loin de jouer dans la catégorie des poids plume, le 615 sollicite à la fois les biceps et les mollets de son utilisateur. Coté embrayage, le 615 est en effet quelque peu « brut de fonderie » alors que le maniement de la direction, lorsque le tracteur est en plein effort, nécessite parfois une bonne dose d'épinards. Vif et spontané, le 615 est un tracteur qui étonne toujours par ses capacités. Inépuisables les ressources du 615 ? C'est ce qu'il en ressort au terme d'une séance de labour sur une terre difficile. Même constat lors d'un essai routier où le tracteur ne faiblit pas, même à pleine charge... Côté freinage, c'est efficace, très efficace même, dans le crissement caractéristique de ce dernier. Bâti pour les travaux lourds, ce modèle à la force herculéenne a parfaitement traversé les décennies. Construit pour durer, il compte parmi les modèles incontournables de l'aventure Fiat / Someca. Peu de ces tracteurs ont bénéficié d'une restauration intégrale jusqu'à présent, mais il est fort probable que la tendance vienne à s'inverser dans les années à venir au vu du nombre d'exemplaires préservés que nous avons pu rencontrer sur le fil de nos rencontres et reportages.
Mille mercis à Jean-Jacques, Marie-Pierre et Baptiste Le Rat pour leur accueil chaleureux.