Reflet d'une grande robustesse, le Fordson Super Major, évolution du Power Major, est officiellement présenté à l'occasion du Smithfield Show de 1960. En production depuis quelques semaines à l'usine de Dagenham, le Super Major bénéficie du relevage hydraulique Qualitrol. Ce dernier offre à son utilisateur un contrôle de débit et de profondeur. Le troisième point dispose quant à lui de deux positions. Voilà qui offre à l'utilisateur un report d'effort optimal et, par voie de conséquence, une meilleure adhérence. A partir de 1962, les jantes avant en fonte d'acier sont remplacées par des modèles en tôle d'acier à voiles ajourés. En juin 1963, Fordson rajeunit et apporte quelques améliorations à ses modèles phares, le Dexta, le Super Dexta et le Super Major. Si la livrée principale de ces tracteurs demeure le bleu Fordson, jantes, ailes et grilles de calandre sont désormais laquées d'un gris très clair.
Vue moteur côté gauche. En avant du moteur, sur la partie supérieure de ce dernier se trouvent le réservoir et la pompe hydraulique de la direction assistée. Cet ensemble surplombe la dynamo. Le collecteur d'admission est peint en bleu alors que celui de l'échappement est resté en acier brut. Sous celui-ci, à l'extrémité arrière du moteur se trouve le démarreur.
Plein phare sur le côté droit du moteur. A proximité de la culasse se trouve, en arrière du moteur le filtre à carburant. Juste en dessous et un peu plus en avant se situe la pompe à injection pneumatique Simm's. En avant du moteur, au niveau de la partie basse du bloc prend place le carter de distribution. Juste au-dessus de celui-ci, nous retrouvons le reniflard.
La puissance des tracteurs évolue quelque peu au passage. Sur demande, le Super Major peut être équipé d'une direction assistée. Le modèle constitue une base de travail intéressante pour les entreprises spécialisées dans les tracteurs spéciaux. Aussi County propose-t-il des modèles à quatre roues égales avec les modèles Super 4 et Super 6, tout comme Matbro à travers des tracteurs articulés, eux aussi munis de quatre roues égales. Dans un autre registre, Doe signe un double Super Major nommé Triple D, résultant de l'assemblage de deux tracteurs. L'appellation Triple D s'explique de la manière suivante : Doe Dual Drive.
A l'image des Super Major modifiés en 4x4 par Roadless et Selene, le modèle travaillé par les établissements Thomas reçoit un pont de camion militaire GMC. Les surplus en pièces détachées étaient énormes pour les véhicules militaires américains à l'issue de la Seconde Guerre mondiale.
Dans un registre plus modeste, plusieurs artisans se sont penchés sur l'adjonction d'un pont avant moteur sur un Super Major. L'aventure des Super Major 4x4 débutera de manière fortuite. Alors qu'un importateur transalpin basé à Turin se nommant Selene est en prise avec un surplus de stock de Fordson E27N d'occasion, il réfléchit à trouver des débouchés commerciaux pour ces tracteurs. Chez Selene, on cultive alors l'idée de modifier ces tracteurs en versions 4x4, à partir de ponts issus de camions militaires GMC, dont les surplus sont importants à l'issue de la seconde guerre mondiale. Le succès de ces modèles modifiés est immédiat. A l'occasion d'une édition du Smithfield Show, Signor Segre, le dirigeant de Selene rencontre William Batty, membre éminent de la Ford Motor Company. Il en résulte le fait que Ford garantit les tracteurs dotés d'un pont AV Selene. A l'occasion de ce salon d'envergure internationale, le lieutenant-colonel Philipp Johnson, le dirigeant fondateur des établissements Roadless se révèle particulièrement intéressé par le dispositif Selene. Fondée en 1923, la société Roadless élabore des tracteurs dérivés des Fordson depuis 1929. Il s'agit là de modèles chenillés. Le sérieux des constructions Roadless conduit Fordson à accepter leur distribution par l'intermédiaire de son réseau commercial. Les modèles chenillés Roadless Full-Track et Half-Track ont été très souvent mis à contribution sur les pistes d'atterrissage plus ou moins improvisées au cours de la Seconde Guerre mondiale.
L'objectif de notre photographe s'est focalisé sur la boîte de transfert de notre Fordson Super Major. Bien entendu, cette dernière diffère de celle qui est utilisée sur les modèles modifiés par Roadless et Selene.
Le cardan du Super Major 4x4 Thomas puise lui aussi ses origines auprès des camions militaires américains GMC. A l'époque où les photos ont été prises, le vérin hydraulique de la direction assistée était en cours de rénovation, ce qui explique la présence d'une barre de direction non peinte.
Philipp Johnson n'a cessé d'encourager Selene dans sa démarche et s'investit dans l'homologation de ces tracteurs auprès de l'Institut national du génie agricole, le NIAE. Basé à Silsoe, cet institut dépend directement du ministère de l'agriculture britannique. Le rapport du NIAE s'est révélé favorable à ces Fordson 4x4. La démarche de Johnson n'était pas totalement désintéressée dans la mesure ou Roadless obtient dès 1955 la licence de fabrication et de commercialisation du dispositif Selene pour l'ensemble des pays du Commonwealth. L'élaboration des tracteurs Roadless 4x4 sur base Fordson démarre dès l'année suivante. L'aventure se poursuivra avec les différents modèles de la gamme Ford et ce jusqu'aux années 80.
De profil, le Super Major 4x4 à pont avant Thomas est quelque peu bestial, tel un fauve au repos. Témoignant d'une adhérence exceptionnelle, ce modèle modifié se révèle particulièrement efficace au débardage.
En France, un spécialiste s'est penché sur l'adaptation de ponts de GMC sur les Fordson, il s'agit des établissements Thomas, concessionnaire Ford à Reims. Un certain nombre de Super Major ont été modifiés en 4x4 par l'intermédiaire de cet atelier. Notre lecteur alsacien Denis Antenat est un grand passionné de tracteurs modifiés. Il connaît particulièrement bien les Super Major modifiés en 4x4, dont il possède deux exemplaires. « A l'époque, la conversion Thomas était la moins chère du marché au niveau de ces Super Major modifiés », explique Denis Antenat. D'autres ateliers moins connus se sont aussi exercés à modifier ces tracteurs en 4x4, le plus souvent au compte-gouttes. « Dans la majeure partie des cas, reprend notre collectionneur, les Super Major 4x4 étaient destinés au travail forestier. Le prix de revient d'un tel tracteur était alors bien trop élevé pour un agriculteur à l'époque. Ainsi équipé, un Fordson Super Major témoigne d'une adhérence exceptionnelle. Les personnes qui souhaitaient disposer d'un pont avant Thomas avaient deux alternatives à l'époque, soit de faire modifier leur tracteur directement auprès des établissements Thomas, soit de faire monter cet ensemble auprès de leur concessionnaire habituel. D'après les témoignages que j'ai pu recueillir, la répartition des exemplaires ainsi modifiés était de l'ordre de 50 / 50 : 50 %, directement par Thomas et 50 % par les concessionnaires à partir du kit commercialisé par Thomas. Côté rayon de braquage et maniabilité, il faut avouer que ce n'était pas formidable et cela constituait l'un des gros points noirs de ces tracteurs. Autre faiblesse, les cardans se révélaient relativement fragiles en usage intensif. Nombre de ceux qui en possédaient un exemplaire à l'époque avaient monté une direction assistée. » C'est l'une de ces perles rares datant de 1963 que votre magazine favori a retrouvé à deux pas de Montauban.
Après des années d'attente, Thierry Rey a pu se rendre acquéreur de ce Fordson Super Major de 1963, avec une conversion 4x4 Thomas.
Ce Super Major à quatre roues motrices modifié par les établissements Thomas, nous l'avons découvert chez Thierry Rey, à deux pas de Montauban. Tout gamin, Thierry est fasciné par une firme de tracteurs bien précise : Fordson. Les rêves du jeune garçon sont alors régulièrement tapissés de bleu. Son modèle favori ? Le Super Major. A la télévision comme au cinéma, il ne cesse de guetter les apparitions de tracteurs appartenant à sa marque favorite. Lors d'une séance sur grand écran, son sang ne fait qu'un tour lors de l'apparition d'un Super Major 4x4. « Si j'ai oublié le titre du film, les images de ce modèle peu commun sont restées à jamais gravées dans ma mémoire, se rappelle Thierry Rey. Dès lors, je m'étais dit que tôt ou tard, j'aurai un tel tracteur entre mes mains ! Par la suite, il s'est écoulé beaucoup de temps avant que je puisse mettre la main sur un tel modèle. En 1990, j'ai découvert, sur l'indication d'une connaissance un Super Major 4x4 modifié par les établissements Thomas. Ce tracteur qui était immobilisé depuis quelques années appartenait à une personne âgée qui ne souhaitait pas s'en séparer. Le propriétaire s'en servait très épisodiquement dans le cadre de l'entretien d'une fermette. Il en avait fait l'acquisition auprès d'un pépiniériste qui s'en servait essentiellement en hiver pour arracher des arbres. Malgré le fait que le tracteur ne soit pas à vendre, j'ai néanmoins maintenu le contact avec cette personne pendant des années. Quinze ans plus tard, son fils me confiait qu'il n'était pas opposé à échanger ce Fordson contre un tracteur de facture plus récente qui soit tournant et opérationnel. Visiblement peu entretenu, le Super Major souffrait de pannes chroniques au niveau de son relevage hydraulique. Dans la mesure où il était stocké à l'humidité, les biellettes de relevage jamais graissées venaient à se gripper de manière récurrente. Nous sommes tombés d'accord avec le fils du propriétaire contre un tracteur des années 70 que j'ai révisé. Ma patience avait fini par payer ! Le Super Major 4x4 de mes rêves a donc rejoint mon antre en 2014...
Donnant l'apparence d'un tracteur solide comme le roc, le Super Major 4 x 4 témoigne néanmoins de quelques faiblesses, notamment au niveau du cardan qui pouvait se révéler fragile.
Il ne restait plus qu'à se retrousser les manches pour le restaurer ! La première opération a consisté en un nettoyage à haute pression, chose que le Super Major ne semblait pas avoir connu depuis une vingtaine d'années ! Travaillant de manière méthodique, Thierry s'est tout d'abord penché sur le moteur. En excellent état, ce dernier n'a nécessité qu'une simple vidange et le changement des joints. La pompe à eau a été changée alors que la pompe à injection a été refaite par un dieseliste. Au démontage, embrayage et boîte de vitesses n'ont pas révélé d'anomalie particulière. D'après ses constatations au démontage, Thierry pense que son Super Major totalisait moins de 10 000 heures lorsqu'il en a fait l'acquisition. Défectueux, les joints de trompettes de ponts ont été changés et le relevage hydraulique a été entièrement révisé. Le système de freinage a été revu de A à Z et le réservoir de carburant, percé, a été réparé.
Les occasions de rencontrer un Super Major « conversion Thomas » dans cet état sont rares. Aidé par son frère, Thierry Rey a mené le chantier sur une période de six mois.
Au niveau carrosserie, le Super Major s'est révélé en assez bon état, exception faite de la calandre qui était sérieusement froissée. Celle-ci a été confiée à un carrossier professionnel comptant parmi les amis de Thierry. Quant à la peinture, elle a été traitée par André Rey, le frère de Thierry. Le faisceau électrique a été refait intégralement en conformité avec l'origine. Lorsque nous avons photographié ce Super Major d'exception chez Thierry Rey, quelques détails n'étaient pas encore finalisés. Le siège de facture récente, visible sur les photos, a cédé sa place à un modèle conforme à l'origine. D'autre part, le vérin hydraulique de la direction assistée, en cours de rénovation lors de notre passage, est aujourd'hui installé sur le tracteur. Depuis sa restauration, ce tracteur a participé à différentes festivités mettant en exergue le centenaire Fordson à l'image du Festival de Saint-Aureil ou de la Tractomania de Caussade. Thierry l'a aussi présenté sur le Festival National des Vieilles Mécaniques de Cazals. A travers cette remise en état, Thierry Rey a la satisfaction d'avoir sauvé une pièce rare et d'avoir redonné vie à un tracteur qui hantait ses rêves d'enfant. Voilà qui atteste que les rêves sont avant tout faits pour être concrétisés n'est-ce pas ?
Un grand merci à Thierry Rey pour son accueil et sa disponibilité. Merci également à Denis Antenat pour son témoignage et ses connaissances inépuisables sur le sujet.