Spécialisés dans le matériel viticole depuis 1892, les établissements Loiseau sont installés à Meursault, en Côte-d'Or. Après avoir fabriqué des butteurs, des charrues et des houes, le constructeur s'investit dans le développement d'un tracteur enjambeur. Nommé "Le Vigneron", ce modèle est proposé en quatre variantes. Entièrement carrossé et caréné à la manière des motos et des side-cars de records, ce modèle nommé type B entre en scène en 1954. Sa carrosserie deux corps est quasi symétrique au premier coup d'œil. Audace stylistique et carénage optimal reflètent les principaux traits de caractère de ce modèle atypique. En marge d'être particulièrement esthétique, le carénage du tracteur a pour objectif de protéger au maximum les pieds de vignes. A l'image de qu'avait appliqué le constructeur automobile lyonnais Beck dès les années 20, les optiques de phares de l'enjambeur Loiseau suivent le mouvement de la direction. Le poste de conduite est disposé sur le côté gauche alors que la mécanique prend place sur le côté droit.
Résolument moderne à tous points de vue, le carénage du tracteur avait, en marge de son esthétique, vocation à protéger les rangs de vignes au milieu desquels il évoluait.
Le type B dispose d'une voie variable s'échelonnant de 0,90 m à 1,40 m et d'une hauteur de passage de l'ordre de 1,15 m. Trois autres variantes de modèle sont disponibles au catalogue Loiseau : le B 105 (voie réglable de 1 m à 1,50 m, hauteur de passage 1,25 m), le B 125 (voie réglable de 1,10 m à 1,30 m, hauteur de passage 1,40 m), le B 140 (voie réglable de 1,30 m à 1,60 m, hauteur de passage 1,45 m). Le moteur utilisé sur chacun de ces tracteurs n'est autre que le 4 cylindres de la Peugeot 203, une auto particulièrement appréciée pour sa robustesse, tant dans le monde rural qu'en milieu urbain.
Ce document publicitaire met en exergue la grande polyvalence du Loiseau "Le Vigneron". Malgré ces qualités, le succès commercial de ce modèle sera relativement mitigé.
En marge de son profil atypique et de son élégance rare, le Loiseau "Le Vigneron" type B se veut également représenter un outil de travail polyvalent. Aussi est-il à même de décavaillonner deux rangs à l'aide de ses charrues portées. Dans le cadre des vignes larges, deux corps déchausseurs peuvent être disposés en avant des décavaillonneuses. Cet enjambeur peut être livré avec des buteurs doubles ou des buteurs trois corps. De même, il est prévu pour être équipé des houes Ottomatic, brevetées par Loiseau. Il représente également un outil idéal pour poudrer et sulfater les vignes. Le constructeur met aussi en avant le fait que "Le Vigneron" dispose théoriquement d'une capacité de traction de l'ordre de trois tonnes. Loiseau argumente également que la morphologie de son tracteur enjambeur en fait le modèle à même de pouvoir être surmonté d'un plateau bois à ridelles. Ce dernier peut soit s'adapter en lieu et place du réservoir à sulfater, soit venir se fixer sur la partie supérieure de la carrosserie du tracteur.
Le poste de conduite du tracteur est on ne peut plus rudimentaire. Tout comme le dosseret, l'assise était habillée et disposait d'un léger capitonnage à l'époque.
Boîte de vitesses et pont proviennent de chez Chenard & Walker. Deux alternatives sont possibles sur ces tracteurs au niveau de la boîte, soit une version à trois rapports avant et une marche arrière, soit une version à six rapports avant plus une marche arrière. L'embrayage est de type monodisque à sec. A l'image de nombreux tracteurs de l'époque, la direction du tracteur est dotée d'un boîtier à vis globique. Agissant bien entendu sur les roues arrière, le freinage est doté d'un système à tambours.
En tôle peinte, la planche de bord est relativement sommaire. Elle accueille deux cadrans circulaires au niveau de sa partie supérieure, un ampèremètre et un indicateur de pression d'huile.
A l'époque où les moteurs Diesel ne cessent de se développer dans l'agriculture, Loiseau propose à son tour une telle motorisation sur ses enjambeurs. Toujours issu de l'automobile, le Diesel utilisé sur le Loiseau "Le Vigneron" provient non pas de Sochaux, mais de Stuttgart puisqu'il est de type OM636, emprunté à la Mercedes Benz 170. La variante industrielle de ce moteur est utilisée dans le domaine agricole bien sûr, mais équipe aussi des bateaux ou des chariots motorisés. Si ce moteur n'a guère la réputation d'être un foudre de guerre, il fait néanmoins preuve d’endurance et de robustesse.
Disposée sur le côté droit du tracteur, la mécanique est carénée. On y trouve néanmoins une ouverture de part et d'autre du moteur. La pompe à injection Bosch est protégée des éventuels frottements et accrochages par un bandeau en tôle d'acier fixé en quatre points.
Focus sur le côté gauche du bloc moteur. Nous retrouvons en haut à gauche de la photo la dynamo et en bas à droite le démarreur. Le reniflard passe à proximité de la jauge à huile. On notera que la partie basse du bloc moteur est en fonte d'aluminium alors que le bloc fait appel à la fonte d'acier.
C'est au cœur du vignoble de Champagne que nous avons découvert ce B105D. Récoltant et producteur de champagne « dans le civil », Christophe Luc, son propriétaire, est bien connu dans le monde des amateurs de motoculteurs anciens et de tracteurs enjambeurs. « Mon violon d'Ingres en matière de tracteurs enjambeurs, ce sont les perles rares. Acquérir un Loiseau de cette génération a toujours représenté un Graal pour ma part... J'ai toujours craqué pour ses lignes improbables. Un jour, j'ai eu la chance de découvrir l'un de ces tracteurs chez un viticulteur qui le possédait depuis 1957. La mécanique du tracteur était bloquée. La personne me l'a cédé en février 2016 en étant persuadée que je n'arriverais jamais à le remettre en marche. C'était mal me connaître ! Je me suis attaché à débloquer progressivement le moteur à l'aide de WD 40 et de liquide de freins. Le tracteur a été entièrement démonté pour lui assurer une remise en état digne de ce nom. Nous ne souhaitions pas pour autant en faire un tracteur clinquant. Une belle patine a aussi beaucoup de charme sur un tel engin. La pompe à eau a été changée. Les éléments de carénage de carrosserie ont été déposés afin de pouvoir accéder aux courroies entraînant la boîte de vitesses et de procéder à leur changement. Lorsque nous avons réalisé le levage du tracteur, nous avons pu observer un débattement conséquent au niveau de la suspension. Pour être honnête, si cet enjambeur "Le Vigneron" était très agréable d'un point de vue stylistique, l'aspect pratique n'y était pas. En effet, chaque intervention technique ou mécanique nécessitait le démontage d'une partie de la carrosserie carénée. Même remarque au niveau des outils qu'on passait un certain temps à positionner à cause de ce carénage. C'est ce qui fait aussi son charme et sa rareté aujourd'hui ! Toute la partie technique a été revue de A à Z. La carrosserie a quant à elle été nettoyée de fond en comble, puis elle a été pulvérisée d'un mélange d'huile et de Rustol, ce qui a redonné de l'éclat à sa peinture rouge originelle.» L'accès au poste de conduite est favorisé par une petite marche en tube d'acier circulaire. Si la planche de bord est verticale, le volant à trois branches est incliné à 45 degrés. Elaboré en bakélite noire, ce dernier est doté d'un macaron central de la même livrée. Horizontal, le levier de vitesses est agrémenté d'un pommeau en caoutchouc. Ce levier est coordonné à la boîte de vitesses par l'intermédiaire d'un certain nombre de renvois, ce qui ne joue guère en la faveur de la précision, très éloignée de celle de l'horlogerie ! Quoi qu'il en soit, il faut remettre cet enjambeur dans le contexte de l'époque où la majeure partie des tracteurs et des engins agricoles alors proposés sur le marché était des plus rustiques.
Boîte de vitesses et pont proviennent de chez Chenard & Walker. On notera que le levier de vitesses est horizontal. Son maniement n'a rien d'aisé et la précision de l'ensemble est plus qu'approximative. Il faut néanmoins remettre ce tracteur dans le contexte de l'époque.
En utilisant des mécaniques et des boîtes de vitesses largement éprouvées, Loiseau assurait le gage d'une fiabilité exemplaire. Même remarque au niveau de la transmission en provenance de chez Chenard & Walker. En revanche, on notera que la coordination de l'ensemble via poulies et courroies était des plus rudimentaires et les interventions techniques n'avaient rien d'aisé à ce niveau. Or, les viticulteurs tout comme les intervenants techniques n'ont jamais eu de temps à perdre. Cette carrosserie carénée desservait finalement ce modèle. Cet aspect non pratique a joué en sa défaveur et a limité son succès commercial, ce qui fait aujourd'hui sa rareté.
Extrêmement maniable, l'enjambeur Le Vigneron témoigne d'une certaine agilité. A l'époque tout comme aujourd'hui, la rencontre d'un engin au design aussi atypique ne laisse personne indifférent.
Loiseau remplacera les modèles appartenant à la série B par les modèles L 60 et 60 bis. Débarrassés de tout élément de carrosserie à l'exception d'un capot moteur, ces deux modèles conservent le dispositif d'une conduite à gauche et d'une mécanique disposée sur le côté droit. On retrouve également cette architecture sur le Loiseau 634. Par la suite, le constructeur se calquera sur ses concurrents tels Bobard et Derot-Tecnoma en adoptant une architecture plus conventionnelle avec des moteurs installés en position centrale arrière, dans l'axe du poste de conduite. Rentrer dans la norme s'avérait alors être une nécessité économique pour ce constructeur.
Avec ses allures de gros insecte, l'enjambeur Le Vigneron fait partie des engins qu'il n'est pas très fréquent de rencontrer dans une existence de collectionneur. Emotion garantie !