Au printemps 1968, François Tretout, agriculteur au hameau de Lambézen, à Camaret-sur-Mer (Finistère), acquiert un Renault Super 3D auprès de l’agent local de la marque, à Telgruc-sur- Mer. François n’est autre que le grand- père maternel d’André Bouguyon, l’actuel propriétaire du tracteur. Avant d’être entre les mains de François Tretout, le petit Renault était dévoué au débardage. À son arrivée à Camaret- sur-Mer, il était doté d’un treuil et de roues plus larges à l’avant. François s’est alors efforcé de le remettre dans sa configuration agricole pour en faire son tracteur principal. « Mon grand- père était à la tête d’une petite exploitation de 15 ha, explique André Bouguyon. Éleveur de vaches laitières, il nourrissait son cheptel en cultivant des choux et des betteraves. Il produisait également un petit éventail de céréales : avoine, blé, orge... »
Tracteur robuste, compact et économique, le Renault Super 3D fait preuve d'une adhérence exceptionnelle. A l'aise en toutes circonstances, ce tracteur brille par sa polyvalence.
Le Super 3D était de toutes les corvées sur l’exploitation. Le labour s’effectuait avec une charrue monosoc Huard HM1. Le vaillant petit Renault était également dévoué au travail du sol ou encore à la traction de la tonne à eau destinée à abreuver le bétail. Il a servi jusqu’au décès de François en 1988. Par la suite, il a été laissé à l’abandon quelque temps. « Je m’étais dit qu’il serait sympa de le sauvegarder et de lui offrir une seconde jeunesse, raconte André Bouguyon. Dans un premier temps, je me suis contenté de le remettre en marche afin de pouvoir labourer mon jardin et d’effectuer quelques petits travaux. Ensuite, j’ai souhaité lui offrir une restauration intégrale afin de lui redonner tout son éclat. Bien qu’ayant toujours eu la passion des vieilles mécaniques, je dois avouer que c’est avec lui que j’ai contracté à 100 % le virus des tracteurs d’époque. »
Le capot moteur bascule vers l'avant. Laquées d'orange, la turbine de refroidissement et son carénage dominent sur la dynamo (disposée en avant du moteur) et sur le démarreur. A noter que le corps de cet élément était lui aussi laqué d'orange à l'origine. Les utilisateurs d'un tel tracteur se doivent de vérifier régulièrement la tension de la courroie reliant la poulie du vilebrequin à celles de la turbine et de la dynamo.
La remise en état du petit Renault débute par une rénovation du moteur. Si le vilebrequin a pu être conservé, coussinets de bielle, joints de pallier avant et arrière, cylindres, pistons et segments ont dû être remplacés. La quête de pièces détachées n’a pas été une mince affaire. Par le bouche-à-oreille, André avait entendu parler d’un récupérateur dans la région de Taulé, dans le nord du Finistère, disposant, a priori, d’un important stock de pièces liées aux tracteurs Renault. Sans avoir d’informations plus précises sur son nom et sa situation géographique exacte, il est allé à Taulé dans les meilleurs délais. En moins de deux heures, il avait localisé et identifié la personne en question, qui n’était pas opposée à céder quelques pièces. Au terme de plusieurs heures de tri et de recherche, notre collectionneur trouve son bonheur. Pari gagné ! Il déniche la majeure partie des composants lui manquant en état quasi neuf. Seuls manquent à l’appel les injecteurs, les segments et la pochette de rodage. Ces derniers seront dénichés auprès d’un spécialiste de la pièce agricole de la région de Quimper.
La rénovation du moteur s’opère dans la foulée. Puis c’est au tour de la boîte de vitesses et du pont. Au niveau des trains roulants, les différentes bagues, l’axe de pivot avant et l’ensemble des roulements ont été changés. Toute la partie tôlerie du Super 3D avait souffert.
Alvéolée, la grille de calandre est surlignée de deux baguettes embouties en inox. Elle est coiffée d'un petit logo Renault sur fond noir au niveau de sa partie supérieure.
Les logos adhésifs apposés sur les joues du capot moteur rappellent le type précis du tracteur.
Les joues d’ailes étaient fortement corrodées, tout comme les flancs du capot moteur. L’ensemble a été restauré et remis en forme par Michel Menez, un ami d’André qui est lui aussi collectionneur. Le « coup de patte » avisé de Michel a redonné sans tarder au Super 3D ses formes initiales. C’est aussi lui qui s’est chargé de la mise en peinture du tracteur, épaulé par André Bouguyon lors des différentes séances de ponçage et de préparation. La grille de calandre a été refaite à l’identique par André, qui s’est aussi investi dans la réfection intégrale du faisceau électrique.
Fixées à l'extrémité de petites pattes en acier, les optiques de phares adoptent un profil cylindrique. De marque Ducellier, elles sont dotées de cerclages chromés.
L’armature du siège conducteur a également repris vie entre ses mains alors que le rembourrage et le garnissage ont été effectués par son épouse. Côté pneumatiques, seuls ceux de l’avant ont nécessité un changement. Représentant la touche finale de cette remise en état, les adhésifs spécifiques au Super 3D ont été refaits à l’identique par un atelier spécialisé de la presqu’île de Crozon. Achevée voici une décennie, la restauration du tracteur s’est échelonnée sur trois ans à un rythme serein. Témoignant d’un travail de qualité, elle n’a pas pris une ride.
En bon père de famille, André Bouguyon a transmis le "virus" à toute sa descendance. Fanny, l'une de ses filles, est la conductrice attitrée du Super 3D. Elle représente la quatrième génération à prendre les commandes du Super 3D familial.
Le tracteur, représentant un hommage émouvant à son arrière-grand-père, est très souvent mené par Fanny, l’une des filles d’André et Martine Bouguyon. À 26 ans, Fanny participe aux différents évènements orchestrés par l’Amicale pour la restauration du patrimoine mécanique de la presqu’île de Crozon, une association dans laquelle la famille Bouguyon est particulièrement impliquée. La passion a de l’avenir chez les Bouguyon !
Produit à 6341 exemplaires du 1er juin 1965 au 1er septembre 1968, le Renault Super 3D adopte la même silhouette stylistique que l'ensemble des modèles appartenant à la série Super.
Chez Renault, la gamme Super est inaugurée au cours de l’été 1962 avec le Super 7 diesel (R7055), un tracteur équipé d’un moteur trois cylindres Perkins P3 152. En fin d’année, il est rejoint par le Super 7 à moteur essence (R3051) et le Super 5 (R7054). D’une puissance de 35 ch, le Super 7 à essence est doté d’un quatre-cylindres de la marque de type 671-6. Quant au Super 5, il est le tout premier tracteur du constructeur à disposer d’un moteur Alfa Romeo. Développant 35 ch, ce dernier est un trois-cylindres diesel de type 592-30. Au cours de l’été 1963, la gamme Super s’enrichit d’un nouveau modèle, le Super 4, de 30 ch et motorisé par un trois-cylindres diesel Renault de type 587-30. Il est réservé au marché germanique. En 1964, les modèles de la série Super changent de look avec un capot moteur dont la partie supérieure est plus anguleuse. L’année est également marquée par l’arrivée de deux autres modèles au sein de la série Super : le Super 6 (R7050) et le Super 3 (R7052). Le premier est un tracteur de 40 ch et le second, de 25 ch. Tous deux adoptent un moteur MWM diesel, le premier comptant trois cylindres alors que le second n’en dénombre que deux.
L’année suivante, la lettre D s’ajoute à l’ensemble des tracteurs de la série. Héritier du Super 3, le Super 3D (qui conserve la dénomination « R7052 ») entre en production le 1er juin 1965, en simultané avec le Super 6D, le Super 5D et le Super 7D diesel, autant de modèles qui conservent leurs dénominations respectives. En novembre, un nouveau venu motorisé par un quatre-cylindres Indénor XDP 85 développant 26 ch entre en production, il s’agit du Super 2D (R7201).
Le Super 3D reçoit un relevage hydraulique Tracto-Control. Sa puissance en bout de bras est de l'ordre de 1350 kg. Le Tracto-Control permet de travailler en contrôle de position, en régulation automatique de profondeur et enfin, en position flottante.
Ce millésime marque aussi un grand pas dans l’histoire de la marque avec l’arrivée d’un tout nouveau relevage hydraulique : le Tracto-Control. Ce dispositif assure un contrôle d’effort par les bielles inférieures de traction. Il offre trois types d’utilisation : travail en contrôle de position, travail en régulation automatique de profondeur et travail en position flottante. « Le Tracto-Control est d’une précision extraordinaire et demeure parmi les atouts du 3D », témoigne André Bouguyon.
Renault a toujours prêté attention au confort de travail des utilisateurs de ses tracteurs. Réglable en fonction du poids et de la morphologie du conducteur, le siège bénéficie d'une assise et d'un dosseret séparés. Soigneusement rembourrés, ces deux éléments sont recouverts de similicuir noir.
Dans les grandes lignes, le Super 3D est considéré comme l’un des héritiers du D22, un modèle incontournable dans l’histoire de la firme. L’accès au poste de conduite peut s’opérer du côté gauche comme du côté droit. Réglable en fonction du poids et de la morphologie du conducteur, le siège est constitué d’une assise et d’un dosseret séparés. Le poste de conduite offre une excellente visibilité de toutes parts. Sur la boîte de vitesse, la cinquième et la sixième sont synchronisées. Le tracteur d’André est en outre doté d’un démultiplicateur, une option à l’époque. Ce dernier permet de disposer de quatre vitesses rampantes supplémentaires.
Alliance d'un design novateur et de composants mécaniques extrêmement fiables et éprouvés, le Super 3D est un modèle qui a marqué tous ceux qui l'ont utilisé dans leur carrière.
Témoignant d’une adhérence exceptionnelle, le Super 3D est particulièrement endurant. « Au labour, il est très efficace, souligne André. En pareille situation, il convient par contre de le lester à l’avant. Dans le cadre d’une terre relativement meuble, je le fais travailler avec une charrue monocorps Huard HM1, similaire à celle qu’utilisait mon grand-père. Avec une terre plus souple, on peut travailler à l’aide d’une charrue bisoc Huard de type HB2. Dans un cas comme dans l’autre, il convient de toute manière de savoir ménager sa monture en étant conscient de sa cylindrée relativement modeste. » Comme toujours, un entretien rigoureux s’avère nécessaire dans le cadre d’un usage intensif, avec des vidanges régulières et un graissage en temps et heure. De même, lorsque le tracteur travaille dans une atmosphère poussiéreuse, il convient de nettoyer régulièrement les ailettes des cylindres et la turbine de refroidissement. « Ultra-économique en carburant, le Super 3D était également un modèle du genre en matière de polyvalence », commente André Bouguyon. À l’époque – et tout comme aujourd’hui – le Super 3D était particulièrement apprécié de ses utilisateurs.
Robuste dès lors qu’il est soigneusement entretenu, le Super 3D s’avère extrêmement attachant. Ce n’est pas un hasard si nombre de ceux qui en ont acheté un exemplaire à l’époque le possèdent encore aujourd’hui. Produit à 6341 unités du 1er juin 1965 au 1er septembre 1968, ce modèle est loin d’être introuvable de nos jours, malgré cette diffusion relativement limitée. Voilà un tracteur qui mérite une place dans toute collection liée à la firme au losange, ainsi que dans les rangs de ceux qui ont fait des modèles français de petit gabarit leur thème de prédilection.
Un grand merci à André et Fanny Bouguyon pour leur implication dans cet article !