Tracto’Dak 1986-1987  De Paris à Dakar en tracteur

De Paris à Dakar en tracteur
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Durant l’hiver 1986-1987, une caravane composée de tracteurs et de remorques s’élance sur les traces des concurrents du Paris-Dakar. Le Tracto’Dak n’est pas une course, mais un raid humanitaire entre la France et l’Afrique, au terme duquel les matériels resteront sur place. Texte et photos : Claude Brard

Dans le courant des années 70, Christian Hurault découvre le continent africain à travers un voyage au Mali. Avec deux copains, il était parti depuis la France au volant d’une Renault 4L. Envouté par l’Afrique, le désert, les nomades et les pistes qui n’avaient plus de secrets pour lui, Christian a envie d’effectuer le même périple, mais cette fois-ci en tracteur. En octobre 1985, il achète un tracteur d’occasion dans une concession de matériel agricole. Le Someca 511 aligne 12000 heures au compteur. Attelé à une ancienne remorque de l’armée, il va convoyer des caisses contenant des semences, vêtements et outils collectés par une association de la région d’Orléans.

Progression dans le désert du Someca 511 avec ses 12 000 heures au compteur. Sa remorque de l’armée a peut-être vécu le débarquement de juin 44.


Le 15 décembre 1985, c’est le départ pour Bamako, au Mali. Après quelques incidents mécaniques, Christian embarque à Marseille pour Alger où pas moins de trois jours sont nécessaires pour négocier avec les douaniers, avant de pouvoir mettre le cap sur le Mali.
Arrivé à Bamako et n’ayant plus assez de congés pour aller jusqu’à Dakar Christian décide d’arrêter là son périple. Il négocie le 511 et la remorque avec un commerçant local et se trouve un avion pour son retour en France. Le 15 janvier au soir, dans un faubourg de Bamako, il apprend par un concurrent du Paris-Dakar la terrible nouvelle du crash de l’hélico de Thierry Sabine et Daniel Balavoine.
Début 1986, de retour en France, Christian Hurault a la fièvre de l’Afrique. Il crée alors l’association Tracto’Dak. En mars, au Sima (Salon international de la machine agricole), il décide de faire le tour des constructeurs. Objectif : trouver un sponsor pour une nouvelle opération humanitaire vers l’Afrique. Sur le stand Massey Ferguson, il croise Henri-Jean Vittecoq, du service publicité. Christian lui expose son projet, pris au sérieux de suite par la direction de Massey Ferguson.
L’opération est soutenue par le personnel de l’usine de Beauvais (Oise) et par André Genes, chef du service assemblage et peinture. Après le lancement de la gamme 3000 et 3600, Massey Ferguson avait besoin de faire connaitre la qualité des produits conçus au sein de l’usine française.

Christian Hurault, président de l’association Tracto’Dak, en visite à l’usine de Beauvais sur la chaine de reconditionnement des tracteurs prévus pour le raid.

Au cours de l’année 1986, huit tracteurs Massey 168 d’occasion, fournis par certains concessionnaires, retrouveront le chemin de l’usine. Ils y seront reconditionnés et préparés avec différents équipements adaptés aux conditions africaines : pneumatiques, éclairage, filtre à air, cabine.
Pour toute l’équipe de l’usine chargée de ces rénovations et préparations, réussir une opération de cette envergure relève au départ d’une certaine dose d’inconscience et d’optimiste. Seul élément en sa faveur, les tracteurs étant tous du même type, les listes de pièces de rechange n’en étaient que plus simples à dresser.

L’équipe de bénévoles de l’usine Massey Ferguson de Beauvais, sous la direction d’André Genes, chef du service assemblage. Elle s’est chargée de préparer les huit tracteurs 168.

D’un bout à l’autre, cette opération a réuni et motivé beaucoup de monde. L’équipe directement affectée à la préparation du raid a fourni des prestations exceptionnelles. Pendant ce temps, tout le reste de l’usine s’est mobilisé pour assurer la sortie normale des tracteurs.
L’opération est alors baptisée Africatrack. Son but : rallier Paris à Dakar, soit 7 500 km à la vitesse de… 25 km/h. Le convoi est composé de huit tracteurs MF 168 à deux roues motrices, équipés de cabines Buisard. Ils sont attelés chacun à une remorque chargée de plusieurs tonnes de matériels. Cinq voitures 4x4 prêtées par UMM accompagneront le convoi, ainsi qu’un camion atelier apporté par RVI (Renault Véhicules Industriels). Enfin, un MF 3090 quatre roues motrices aura pour mission de tracter une citerne de 6000 litres pour le ravitaillement en carburant. Au total, trente bénévoles seront du voyage. A raison de deux conducteurs par tracteur, seize chauffeurs se relaieront au volant des MF 168. Ils seront accompagnés par des mécaniciens et un service médical, qui comporte un médecin. Le convoi de 110 mètres de long est chargé de 120 tonnes de matériel.
Le Mali et le Sénégal sont des pays engagés dans une démarche de développement, mais les moyens manquent à la population rurale, ouverte au progrès. Il faut agrandir les surfaces, augmenter le rythme des cultures maraichères. C’est un programme d’aide auquel s’est attelé l’association Tracto’Dak, dont les responsables sont issus du milieu agricole français. C’est donc en commun que les deux entités Tracto’Dak et Africatrack mèneront à bien ce raid de 7500 km. Le 13 décembre 1986, après une présentation de l’ensemble du convoi au centre-ville de Beauvais, place Jeanne Hachette, celui-ci se rend à Paris où il fait une halte au Trocadéro, avant prendre la route pour Marseille. Sur le parcours, après des heures de conduite, c’est l’accueil chaleureux et réconfortant des municipalités et des entreprises locales. Un bivouac est même organisé aux arènes de Nîmes. Première mésaventure lors de l’arrivée à Marseille : les dockers sont en grève. Mais l’organisation a plus d’un tour dans son sac. Le convoi embarque à Toulon et débarque à Alger sous la neige. Une fois de plus, la douane réserve un accueil mitigé au convoi, qui finit quand même par reprendre son chemin.

Présentation du convoi avant le départ place Jeanne Hachette à Beauvais.

Le convoi fait une halte à Paris, au Trocadéro.

Dans le sud de la France, avant d’embarquer pour l’Afrique, le convoi bivouaque aux arènes de Nîmes.

La neige, ce n’est pas toujours facile, même avec des pneus à crampons. Il a fallu deux heures pour avancer de 300 m dans les gorges de la Shiffa, puis c’est la traversée de l’Atlas saharien sans incident majeur. Le convoi roule sur le bitume (1 620 km) jusqu’à Reggane, à raison de 300 à 440 km par jour. Après, c’est la piste. Le plein d’eau et de carburant est fait pour affronter les 1 500 prochains kilomètres sans station.

Stationnement en plein désert.

En bivouac, le convoi se resserre pour des questions de sécurité. Un système de garde est mis en place toutes les nuits. Au réveil, on peut apercevoir les sacs de couchage encore en place.

Le 1er janvier, le convoi s’enfonce dans le sable fluide (le reg), la rocaille (le hamada) et la tôle ondulée jusqu’à Tessalit, frontière avec le Mali. Les hommes et le matériel ne souffrent pas trop, en tout cas moins que dans les jours à venir… Tout le monde bivouaque : camping-gaz, conserves, duvets, nuits fraîches.
Les distractions sont nombreuses. Les hommes du convoi ravitaillent en eau les touareg. Mais les réparations sur les tracteurs sont fréquentes. Du côté ensablement, on ne compte plus les interventions. Les tracteurs roulent côte-à-côte pour bénéficier de l’assise d’une légère croûte de surface. Ainsi, aucun véhicule ne roule dans les traces d’un autre… sauf les remorques. Elles suivent les traces du tracteur et s’y enfoncent, d’où l’utilisation fréquente des plaques de désensablage.

Deux tracteurs ensablés. Il faut sortir les plaques de désensablement et les pelles.

Les tracteurs roulent côte à côte afin de ne pas reprendre les traces du tracteur précédent.

Après le franchissement du Tropique du Cancer, le convoi traverse les champs de cailloux du Tanezrouft, au pied du massif du Hoggar. La vitesse de progression diminue à 160 km par jour. 520 km sont parcourus dans ces conditions difficiles. La piste caillouteuse comporte de nombreux passages à gué (oueds asséchés). Hommes et matériels commencent à souffrir.

L’état des pistes met le matériel et les hommes en difficulté. Le convoi ralentit son allure.

L’équipe médicale rattachée au convoi soigne les populations des oasis traversés. L’arrivée du convoi dans les villages engendre des mini-fêtes fort sympathiques.
La fin du désert approche. Gao est en vue. La végétation se transforme dans la vallée du Niger, mais il reste 2 500 km à parcourir pour atteindre Dakar. Avant cela, il faut traverser un lac au moyen d’un bac de petite dimension. Ce qui demande des heures d’attente.

La traversée d’un lac à bord d’un bac.

Le retour à la route goudronnée occasionnera quelques accidents : deux remorques renversées et un tracteur sur le côté, heureusement sans blessure corporelle. Les conducteurs, après la conduite en zig-zag du désert, semblent avoir du mal à rouler droit. On répare et on repart.
Toujours au Mali, le convoi se dirige vers Mopti. Il traverse une succession de plaines tantôt cultivées, tantôt arides au milieu desquelles les tracteurs se sentent davantage dans leur élément. L’équipage aussi.

Le convoi a quitté le désert. L’environnement change.

A Segou, le concessionnaire local Massey Ferguson a érigé une tribune pour présenter les tracteurs à la population. Le gouverneur de la Région en profite pour exprimer son admiration et sa gratitude envers l’équipage.
Voilà un mois que le convoi a pris la route. Il arrive à Kokoum. La population assiste avec joie à la remise des clés d’un tracteur et au déchargement de sa remorque. Le lendemain, à Bamako, plusieurs tracteurs sont remis au ministre de l’Agriculture malien, qui les attribue aussitôt aux chefs des communautés agricoles préalablement choisies. Tout avait été préparé par le concessionnaire local. Echanges de mots simples, émotion, relations de haute qualité. Le tout devant les objectifs de deux chaines de télévision françaises.
Puis c’est un dur retour à la réalité en direction de Kayes. La piste est un enfer. 600 km de chaos ou s’enchainent des escaliers de rochers, des terrains ravinés. Certains passages doivent être aménagés manuellement à la pelle par l’équipe. Les tracteurs tiennent bon, mais il faut ressouder les attelages des remorques, resserrer les fixations des moteurs des 4x4.

La fatigue des chauffeurs et l’état des pistes engendra quelques incidents sans dommage corporel. Deux remorques se sont retournées et vidées de leur contenu. Après quelques heures de labeur fournies par l’ensemble des bénévoles, le convoi est reparti comme s’il ne s’était rien passé.

 

Le camion atelier, en difficulté, est tiré d’affaire par un tracteur du convoi.

Remise des clefs de l’un des tracteurs au préfet. A droite, Christian Hurault, président de l’association Tracto’Dak.

Une équipe de l’association Tracto’Dak se rendra sur place pour former les utilisateurs de tout le matériel.

Formalités de douanes effectuées, le convoi entre au Sénégal. Encore deux jours de piste et de tôle ondulée pour arriver à Tambacounda. Lors d’un passage à gué, le camion atelier reste coincé. Les tracteurs viendront le désensabler. Le convoi retrouve la route goudronnée. Dakar n’est plus qu’à 400 km. A Ndiouk-Fissel, un tracteur est remis symboliquement au préfet. Les quatre derniers tracteurs seront remis à Dakar au ministre du Développement, et à chacun des quatre chefs de village bénéficiaires de cette opération humanitaire.
Les jours suivants, une fois démunis de leurs tracteurs, les participants à ce raid sont allés assister à l’arrivée du Rallye Paris-Dakar sur le Lac Rose.

 

Le convoi comportait huit tracteurs MF 168 et un tout nouveau 3090 de série. D’un bout à l’autre du parcours, ce tracteur de 107 ch, motorisé par un six cylindres Perkins, a tracté une cuve à carburant de 6000 litres. Fabriquée par Duchesne, cette citerne était équipée d’un pont moteur. Surnommé le « saint-bernard du désert », le 3090 a assuré le ravitaillement de tous les véhicules du convoi. Il a aussi dépanné des transporteurs, et même des véhicules de TSO (Thierry Sabine Organisation). En outre, avec ses quatre roues motrices, il a souvent désensablé d’autres véhicules.

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