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Innovations  Les engins agricoles au pied du mur de la décarbonation

Les tracteurs au gaz sont intéressants pour leur capacité à consommer un carburant produit sur la ferme.
Les tracteurs au gaz sont intéressants pour leur capacité à consommer un carburant produit sur la ferme. (©Joseph Marien)
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Étant aux premières loges pour en apprécier les dérèglements, le monde agricole se montre de moins en moins enclin à douter du changement climatique. Dans la course au ralentissement du réchauffement par la décarbonation des activités humaines, la mécanisation de l’agriculture a sa part à accomplir. Axema en a étudié la possibilité et le coût.

La décarbonation des activités agricoles est un sujet que les professionnels français du machinisme prennent plutôt au sérieux. En 2023, Axema, le syndicat des acteurs industriels de la filière des agroéquipements, a été sollicité par les pouvoirs publics pour plancher sur la contribution qu’il pourrait apporter à cet enjeu. Il a présenté les contours de son analyse lors d’une conférence tenue au Sénat. La politique publique menée dans le cadre de sa stratégie nationale bas carbone (SNBC 3) vise un objectif de neutralité carbone pour les émissions françaises à l’horizon 2050 et une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2030, par rapport à celles mesurées en 1990. À cette date, elles représentaient un total de 539 millions de tonnes d’équivalent CO2 (MtCO2eq), parmi lesquelles 89 millions de tonnes attribuées au secteur agricole. Trente ans après, alors que la surface agricole utile (SAU) n’a guère varié, les émissions ont déjà sensiblement baissé. Selon les données de l’inventaire national des émissions de GES, publiées par le Citepa en 2024, la France a émis, en 2022, 396 MtCO2eq, et son agriculture 74 MtCO2eq.

Le retrofit a fait l’objet de quelques expérimentations en matériels de construction et agricoles. Il se heurte à des problèmes d’homologation. (© Zquip)

Pour répondre à la demande des pouvoirs publics, les services techniques et économiques d’Axema ont évalué comment différents scénarios d’utilisation de carburants alternatifs ou d’électrification du parc de machines agricoles pourraient réduire les émissions et ils ont calculé le coût de leur mise en place. Mais, avant cela, ils ont dressé un état des lieux du parc actuel. En se basant sur les statistiques d’Agreste et sur les données d’immatriculations, ils ont comptabilisé un total de 1 325 000 engins motorisés, dont 904 000 tracteurs. Sachant que 99,9 % d’entre eux carburent au gazole non routier, leurs émissions représenteraient un total de 8,3 MtCO2eq.

L’utilisation d’une part plus importante de carburants issus de la transformation de biomasse apparaît comme le moyen le plus économiques de décarboner les chantiers agricoles. (© New Holland)

Des alternatives au GNR

Dans son étude, Axema a envisagé les différents types d’énergie pouvant se substituer aux carburants fossiles. Les carburants liquides bas carbone apparaissent comme les plus aisés à mettre en place rapidement. Ils sont en effet compatibles avec les motorisations diesels existantes, affichent des autonomies identiques et ne réclament pas d’homologation particulière. D’ores et déjà, 7 % de l’énergie contenue dans le GNR est d’origine biosourcée. Cette proportion peut augmenter en utilisant des biocarburants tels que le HVO (huile végétale hydrotraitée), des e-fuels, c’est-à-dire des carburants de synthèse. Le B100, issu de la transformation du colza, pourrait également entrer dans cette catégorie.

L’électrification peut répondre aux besoins de matériels compacts et ne nécessitant pas une grande autonomie. (© Manitou)

Mais son utilisation présente l’inconvénient de ne pas être mentionnée dans l’homologation des moteurs compatibles avec la norme d’émission Stage V. L’ensemble de ces carburants est envisageable dans la mesure où les ressources en biomasse, en hydrogène et en électricité sont disponibles, mais aussi si d’autres secteurs, tels que l’aviation, dépourvus d’alternatives de décarbonation ne soufflent la priorité dans leur approvisionnement aux machines agricoles. Une autre voie prometteuse pourrait être celle des tracteurs carburant au biométhane.

Les biocarburants tels que le HVO (huile végétale hydrotraitée) ou le B100 issu de la transformation du colza pourraient également entrer comme carburants bas carbone. (© Henri Etignard)

Un seul constructeur, New Holland, commercialise pour le moment une solution. Si de tels engins semblent séduisants en raison de leur comportement identique aux modèles diesels, se posent néanmoins des questions d’un coût plus élevé de 20 %, d’un méthane plus cher que le GNR et du déploiement des stations d’avitaillement. Chacune représente un investissement allant de 40 000 à 200 000 €. L’électrification totale de tracteurs fait aussi partie des voies de décarbonation. Elle apparaît pertinente pour des engins légers ne nécessitant pas une grande autonomie. Le bon rendement mécanique ainsi que la réduction des nuisances sonores et des émissions locales font partie de ses arguments. En revanche, alors qu’elle apparaît peu pertinente pour des engins lourds fortement sollicités tels que des automoteurs de récolte ou des tracteurs puissants, l’hydrogène généré par électrolyse pourrait prendre le relais en raison de sa densité énergétique. Différents constructeurs étudient actuellement des moteurs à combustion interne adaptés. Ceux-ci semblent plus fiables en milieux poussiéreux que les piles à combustible. Mais leur prix d’achat, de 2 à 4 fois plus élevé que celui des équipements actuels, ainsi que la mise en place d’une logistique et de stations dédiées apparaissent pour le moment prohibitifs.

Les tracteurs au gaz sont intéressants pour leur capacité à consommer un carburant produit sur la ferme. (© Joseph Marien)

Une facture de 3 à 6 Md€

Après avoir chiffré toutes ces solutions, y compris celle du rétrofit, c’est-à-dire la modification d’engins existants, Axema a estimé que, pour atteindre une décarbonation de 43 %, la facture se montait à un total de 77 à 149 milliards d’euros (Md€), à investir sur une période de 25 ans. Les agriculteurs français qui sortent de leur poche chaque année 5 Md€ pour acquérir des engins agricoles motorisés devraient donc en aligner de 3 à 6 Md€ supplémentaires. Pour autant, si la route apparaît difficile et barrée par un important péage, toutes les voies d’accès ne sont pas bloquées.

L’hydrogène présente l’avantage d’offrir une grande densité énergétique adaptée aux machines puissantes. Son coût apparaît cependant très élevé. (© JCB)

Dans ses recommandations, Axema rappelle l’importance des économies d’énergie comme levier de décarbonation. Les formations à l’écoconduite seraient ainsi susceptibles de réduire de 20 % les consommations. D’autres mesures pragmatiques tels le partage de la mécanisation et son entretien régulier vont aussi dans le bon sens. Par ailleurs, des ruptures technologiques comme le développement de la robotisation peuvent peser dans l’équation. Mais l’impact est difficile à chiffrer, et le nombre d’unités au travail pourrait rester identique. Axema entrevoit un scénario multiénergie dans lequel les biocarburants de synthèse de types HVO et e-fuels, le biogaz et l’électrification prendraient des places grandissantes. Mais, avant cela, les pouvoirs publics auront besoin de mettre en place des politiques claires de soutien pour développer des filières d’approvisionnement, ainsi que des réglementations, des formations et des taxations adaptées.

Les carburants alternatifs réclament des investissements pour mettre en place leur logistique et les station de ravitaillement. (© Joseph Marien)

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