« J’ai toujours récolté en cribs quelles que soient les conditions, sauf lors de la sécheresse de 2018 ! »

Stocker son maïs en cribs, un procédé révolu ou en devenir ? Dans plusieurs régions françaises, des agriculteurs perpétuent la tradition. « J’ai toujours récolté en cribs quelles que soient les conditions, sauf lors de la sécheresse de 2018 ! », lance Laurent Tuchscherer, agriculteur de 44 ans à Roppenheim (Bas-Rhin). Le séchage des épis à l’air libre perpétue cette technique employée sur l’exploitation familiale depuis 1992. Installé en 2007 sur les 60 ha de céréales et de maïs semence de la ferme familiale, l’agriculteur pluriactif utilise à chaque récolte le crib érigé par son père. Ce couloir aux parois grillagées, large de 90 cm et haut de 6 m, est structuré par des poteaux de bois traité (voir encadré). Ayant fait l’objet de plusieurs extensions successives, dont la dernière voici quelques années, le crib s’étend aujourd’hui sur une longueur de 180 m. Il se trouve en bordure de la plus grande parcelle de l’exploitation, d’une surface de 15 ha, afin de réduire au maximum la distance entre le champ et le dispositif de stockage. Un chemin facilitant l’accès des remorques agricoles et des camions borde l’installation. Celle-ci suit une orientation nord-sud afin de bénéficier d’une exposition maximale aux vents dominants et favoriser ainsi le séchage. « Il est placé en plein champ, loin de tout bosquet, c’est une règle absolue », précise l’exploitant. Chaque année en début d’automne, environ 25 à 30 ha de maïs à 120-130 q/ha sont stockés dans cette installation pour un séchage à l’air libre jusqu’au printemps de l’année suivante. « Le maïs est récolté en épis, explique l’agriculteur. Un entrepreneur de travaux agricoles assure la fauche à l’aide d’un corn-picker Bourgoin, séparant puis recueillant les épis entiers. En raison du manque de fiabilité et du coût d’entretien élevé de mon appareil d’occasion, j’ai revendu ma propre machine et sous-traite cette tâche depuis la campagne 2019. Le coût de la prestation équivaut selon moi à celui d’une machine en propriété, les ennuis en moins ! »

Une récolte sur plusieurs semaines
Le chantier de récolte mobilise au moins trois personnes : la première pour conduire le corn-picker de six rangs, la deuxième pour surveiller le remplissage du crib et la troisième pour déplacer les trois bennes nécessaires au déroulement fluide des opérations. L’exploitant préconise une récolte à un taux d’humidité du grain optimal de 30 à 35 % afin de limiter le phénomène d’égrainage et proscrit toute récolte en épis en deçà de 25 %. « Dès que l’enveloppe du grain devient vitreuse, c’est gagné ! Je n’ai jamais évalué précisément la perte de grains au sol lors de la récolte, mais elle oscille selon moi entre 2 et 5 % dans des conditions normales. » Le taux d’humidité détermine la date de récolte. Celle-ci a lieu pendant la deuxième quinzaine de septembre, parfois jusqu’à mi-octobre avec des variétés tardives.
« Il s’agit de maïs classique, car il n’existe plus aujourd’hui de variété spécifique pour le séchage en cribs. » Les adeptes de cette technique de stockage, bien plus répandue dans la région par le passé, privilégient néanmoins des variétés dont l’épi s’effeuille bien. « L’un de mes voisins a construit un crib voici six ou sept ans pour y stocker 90 ha de maïs, rapporte Laurent Tuchscherer. Ainsi, nous sommes deux agriculteurs à en posséder un dans le secteur. Mais le plus grand nombre se concentre dans la moitié sud de l’Alsace. »
Stockage à l’air libre
Lors du chantier de récolte, un chauffeur achemine les épis de maïs depuis le corn-picker jusqu’au crib grâce à des bennes agricoles de 20 t. Il déverse leur contenu dans une trémie de réception accolée à un tapis élévateur à chaînes et barrettes acquis en copropriété. Celui-ci remplit le crib par le dessus. Cet outil de marque Geoffroy, de 16 m de long, a été acheté neuf voici six ans pour moins de 30 000 €. Son entraînement est assuré électriquement à l’aide d’un groupe électrogène animé par un tracteur. Grâce à ce matériel placé parallèlement au silo, chaque benne est vidée en moins de dix minutes. La récupération du maïs égrainé lors de la manutention est assurée par une benne à quatre roues de 6 t attelée à l’élévateur et, dans une moindre mesure, par des bâches tendues sous l’appareil. Ce grain récupéré est livré à la coopérative. Seuls les épis stockés dans la partie la plus ancienne du crib, formée d’un cadre métallique, bénéficient d’une couverture en tôle ondulée à l’issue du remplissage. « Ce dispositif procure un petit avantage de conservation, surtout pour éviter les infiltrations d’eau lors de la fonte des neiges accumulées, reconnaît l’agriculteur. Mais les hivers sont de moins en moins neigeux, et ce travail supplémentaire à 6 m de hauteur est contraignant. » Lors du déstockage au printemps, l’exploitant ne décèle pas de pourriture malgré l’absence de couverture d’une majeure partie de la récolte.
Maïs grain sec au printemps
Durant la période de séchage, le stock de maïs s’est affaissé et a perdu 1,5 m de hauteur. Le désilage a généralement lieu après le semis de maïs, parfois plus tôt comme cette année. « Ce n’est pas le niveau du cours du maïs qui me décide à le déstocker. Mais s’il chute trop, j’ai la possibilité de le garder un peu plus longtemps dans mon crib. »

La date de déstockage est déclenchée par deux facteurs : un niveau de dessiccation suffisant et le besoin de trésorerie. Selon l’agriculteur, il est possible de sortir la récolte à 18 % d’humidité, mais mieux vaut qu’elle se trouve en dessous de 16 %. Il faut alors déstocker rapidement pour éviter les problèmes de moisissures apparaissant avec la montée des températures. « Nous procédons à des analyses pour vérifier le taux d’humidité. Cette année, sa valeur lors de la vidange est de 14,9 %, et le niveau ne baissera plus beaucoup. Il aurait pu perdre encore 0,5 à 1 % mais sur deux mois de stockage supplémentaires, ce qui n’a pas de sens. » L’agriculteur voisin, lui aussi propriétaire de cribs, s’assure de l’absence de mycotoxines dans son propre stock grâce à des analyses complémentaires. Ce risque peut en effet survenir en cas d’humidité excessive et de propreté insuffisante lors de la récolte. Avec un rendement de chantier de 300 t/j, l’opération de vidange prend moins de deux jours. L’ouverture de l’une des trappes latérales provoque la descente des épis par gravité sur un tapis de 7 m de long.

La présence d’une personne à l’intérieur du crib est néanmoins indispensable pour les finitions à la pelle. Le tapis convoyeur achemine la récolte jusqu’au batteur d’une moissonneuse-batteuse. La machine de récolte assure un débit moyen de 45 t/h. L’entreprise de travaux agricoles facture à la tonne cette prestation particulière de battage. Le chantier génère un volume conséquent de rafles, que l’agriculteur cède sur site à un exploitant d’unité de méthanisation, moyennant une valorisation symbolique. « Certains s’en servent aussi comme combustible. La seule année où je n’ai pas pu m’en débarrasser, j’ai épandu les rafles sur mes parcelles. »

Économie de 300 €/ha
Aujourd’hui, il n’existe plus de valorisation supplémentaire du maïs corné conditionnée par le stockage en cribs. Mais ce mode de séchage génère des économies. « Plus besoin d’énergie fossile pour abaisser le taux d’humidité du grain ! Par rapport à une livraison classique, j’économise le coût du séchage compris entre 20 et 25 €/t, ainsi que les frais de stockage de 7 à 8 €/t. Ramenée à l’hectare et avec notre rendement, l’économie représente 300 €/ha de marge brute, voire 450 €/ha lorsque le taux d’humidité du grain à la récolte atteint 34 % ! » Si le nombre de personnes mobilisées correspond à celui d’une récolte classique avec une machine de récolte de six à huit rangs, l’agriculteur reconnaît que la technique génère bien davantage de manutention.

Concernant le point d’équilibre économique du stockage en cribs, Laurent Tuchscherer se montre pragmatique : « Quel que soit le prix du gaz, l’équipement est là. La dernière portion de mon crib a été montée en autoconstruction avec poteaux récupérés et béton livré. Le montant nécessaire, inférieur à 10 000 €, fut payé en deux ans. Et en considérant l’ensemble des coûts hors corn-picker, notre retour sur investissement est de moins de cinq ans. » Une stratégie qui mérite donc d’être considérée !
