À l’occasion du salon international du machinisme agricole chinois, le Ciame 2024, qui s'est déroulé fin octobre à Changsha, dans la province du Hunan, la rédaction de Matériel Agricole a pu découvrir à quoi ressemblent les équipements destinés aux agriculteurs du « pays du Milieu ». Avec 2 620 exposants de machines et de pièces détachées, cet événement attire non seulement une population agricole autochtone importante, mais aussi de très nombreux investisseurs et acheteurs étrangers, de quoi comprendre et anticiper les ambitions des manufacturiers chinois à l’export.
Un marché énorme et une myriade de constructeurs
Avec un total de 505 000 tracteurs standards et spécialisés vendus en 2023, la Chine est un marché véritablement énorme comparé à celui de la France (41 500 unités la même année), sachant que notre pays représente déjà à lui seul un important client d’équipements agricoles. Difficile d’obtenir des détails, mais l'interview de Jianhua Fan, le président de la Camda (China Agricultural Machinery Distribution Association), l’équivalent du Sedima en France, le syndicat des concessionnaires et distributeurs d'agroéquipements, me permet de formuler quelques réponses. Les gros tracteurs (plus de 100 ch) représenteraient 107 000 unités, les tracteurs de moyenne puissance (de 40 à 100 ch) 273 000 unités, et ceux de petite puissance (en dessous de 40 ch) 125 000 unités. L’industrie est dominée par les marques YTO et Lovol, qui se partagent à elles seules 50 % du marché. La première est connue chez nous pour son acquisition puis par la fermeture express de l’usine McCormick de Saint-Dizier (Haute-Marne) qui lui a permis, au passage, de récupérer des technologies de transmission. La seconde, Lovol, commercialise ses tracteurs sous le nom d'« Arbos ». Toutefois, hormis ces deux géants, le reste du marché est extrêmement disputé. Trois autres grosses marques, dont Zoomlion, se partagent 20 %, tandis qu'une myriade de constructeurs se disputent les 30 % restants. En effet, autour des usines des géants de l’industrie que sont YTO (Sinomach) et Lovol se créent des hubs de fournisseurs. Ces derniers, dont le but est de diversifier leur portefeuille de clients, proposent de fournir, à la demande et à qui en fait la demande, des pièces semblables à celles qu'ils conçoivent pour leur client principal. Il devient ainsi très simple d’assembler un tracteur de A à Z en allant à la rencontre de plusieurs de ces fournisseurs. Se sont ainsi créées plusieurs dizaines de firmes de tracteurs d’une centaine d’employés à travers le pays, dont le nom est bien souvent hérité de la ville où elles se sont installées. Cependant, la compétitivité grandissante et l’arrivée de normes écologiques et technologiques drastiques devraient épurer le nombre de constructeurs pour ne conserver que les firmes aux finances les plus solides.
Du petit riziculteur aux structures géantes
La ferme chinoise type dépend du secteur géographique. La province de Hunan, où se tenait le salon, accueille encore un grand nombre de petits riziculteurs, dont les surfaces avoisinent l'hectare. Ces fermes familiales travaillent avec du matériel de type motoculteur. Elles ont, comme partout ailleurs dans le monde, tendance à grossir pour se mécaniser, car, croyez-le ou non, la main-d’œuvre manque aussi en Chine rurale, un paradoxe pour le pays le plus peuplé du monde ! Les Chinois désertent en effet la campagne pour les villes, où le niveau de vie est plus attractif. Ces structures plus larges troquent les pompes à dos et orientent leurs investissements vers les drones pour la protection et la fertilisation de leurs cultures, car ceux-ci s’avèrent pratiques dans les parcelles inondées. Dans d’autres régions, la ferme moyenne ressemble aux fermes françaises familiales, tandis que le nord du pays recense des structures géantes « à l’américaine » produisant en particulier du maïs et du blé dans ses plaines. Pas étonnant, donc, d'apercevoir au Ciame un motoculteur aux côtés d'un chenillard sur le stand d'un même constructeur, lorsque celui-ci est full-liner.
Des machines de pointe
Il y a une dizaine d’années, le tracteur chinois moyen venait tout juste d’acquérir les quatre roues motrices, et la transmission semi-powershift faisait son apparition. Aujourd’hui, si les tracteurs arborent toujours un « 4 » dans leur dénomination, signifiant qu’ils se chaussent de quatre roues motrices, la plupart en sont dotés de série. Côté transmission, c’est au tour de la variation continue de se généraliser. Des systèmes hybrides se montrent même sur des tracteurs de grosse puissance, avec un moteur diesel alimentant, par l'intermédiaire de batteries, des blocs électriques dans les essieux, comme chez LCAG. En cabine, les commandes sont similaires à celles de nos machines, bien que les finitions soient davantage « taillées à la hache ». Le chauffeur retrouve des terminaux tactiles en bout d’accoudoir, comme sur les tracteurs que nous connaissons. L’autoguidage y est présent, ce qui séduit l’acheteur chinois. De plus, le gouvernement subventionne l’acquisition de nouvelles technologies à bord permettant d’optimiser les tâches et les apports.
Du côté des dimensions, il y en a vraiment pour tous les goûts. Chenillard, petit tracteur compact, engin lourd pour la traction ou léger pour le semis… les catalogues sont composés de gammes assez proches des nôtres. Quant aux outils attelés, certains constructeurs full-liners comme Lovol ou YTO proposent des gammes de presses à balles rondes ou à haute densité, et même des semoirs à céréales et monograines.
Pour les engins de récolte, la tendance est, comme pour nous, au grossissement. En arpentant les allées, j’ai pu observer des machines dont les gabarits étaient similaires aux nôtres. Bien que les rotors soient privilégiés, il existe aussi des moissonneuses-batteuses conventionnelles.
Si l’heure est au rattrapage des technologies occidentales en matière de mécanique, sur le plan de l’électronique, les Chinois sont au niveau. En témoigne la grande quantité de fabricants de systèmes de guidage pour tracteurs et automoteurs, d’entraînements électriques pour semoirs, etc. De même, tous les tracteurs sont équipés de la télématique et de solutions de gestion de chantier… pour la simple et bonne raison que le gouvernement oblige les constructeurs à installer des boîtiers sur les tracteurs afin de les homologuer.
Enfin, les constructeurs chinois semblent bien avancés sur la question de l’électrification et l'hybridation tout comme pour l'automobile. En effet, j’ai pu constater la présence de multiples tracteurs électriques de puissances significatives sur plusieurs stands du salon. Certaines marques auraient même déjà lancé leur production, à l'instar de Voltor et de son tracteur de 140 ch qui, d’après le fabricant, serait capable de travailler 4 heures consécutives au labour et jusqu’à 8 heures à la herse rotative. Ses batteries interchangeables, vendues par paires, se démontent en un tour de chariot élévateur pour limiter les arrêts liés au rechargement. Sans compter que l'hybridation électrique-diesel, comme évoqué plus haut chez LCAG, se démocratise. La robotisation constitue un autre sujet au cœur des préoccupations. Un certain nombre de robots, déjà mis en route chez des agriculteurs, étaient d'ailleurs exposés.
Niveau motorisation, j'ai remarqué avec étonnement quelques bouchons bleus typiques d’un réservoir d’additif bien connu dans nos contrées. J’apprendrai alors que, à l’image de l’Europe, la Chine, en pleine révolution verte, impose également aux constructeurs des normes antipollution restrictives. Satisfaisant pour l’instant au « China Stage 3 », les moteurs ont une limite d’émissions de CO2 et de particules fines les obligeant, pour certaines puissances, à installer des systèmes de post-traitement SCR avec injection d’AdBlue. Le niveau suivant au calendrier, le « China Stage 4 », se rapprochera de plus en plus des nôtres. En combinant technologies et normes antipollution, les tractoristes chinois sont en passe de répondre aux besoins des agriculteurs européens.
Des produits réservés à la Chine
Et nos Occidentaux dans tout ça ? Ils sont bien présents. Les grands constructeurs comme John Deere, Claas, CNH Industrial et Deutz-Fahr, des fabricants d’outils comme les Allemands Amazone, Lemken ou Krone, et même l’Alsacien Kuhn, ont exposé leurs machines sur le salon pour avoir leur part du gâteau. Ces derniers présentaient toutefois des machines un peu différentes des nôtres.
Chez Claas, par exemple, j’ai pu découvrir une moissonneuse-batteuse estampillée « Dominator » ! Pas celle que nous connaissions malheureusement. En fait, il s’agit d’une version de l’Evion adaptée au marché chinois. Toutes deux fabriquées dans la même usine chinoise, la première abrite un rotor longitudinal, contrairement à l’Evion qui reçoit un batteur. L’équipement électronique est également revu à la baisse par rapport au modèle original avec, par exemple, un réglage manuel des grilles. Chez CNH Industrial, une Axial-Flow 5088 était exposée ! Et sur le stand de John Deere, la nouvelle S7 700 partageait l’espace avec une moissonneuse baptisée « C2 400 » et un tracteur de la série 6E adapté au continent asiatique.
Des copies conformes
Évidemment, difficile d’évoquer l’« empire du Milieu » sans faire un bilan des copies observées sur le salon, même si cette tendance est à la baisse, les fabricants se concentrant désormais sur le développement de nouvelles technologies. Cette tradition de la copie s’inscrit, à l'instar de la profusion de fabricants de tracteurs, dans la disponibilité des pièces fabriquées en Chine pour les constructeurs occidentaux. Il devient très facile d’avoir de la pièce adaptable conforme à l’originale. Ces pièces et capots assemblés ressemblent donc à l’œuvre de base. Certains en modifient les couleurs, d’autres se contentent du logo, et il y en a, comme le fabricant d’outils Leken qui gardent tout… à l’exception d’une lettre dans le nom de la marque. Voici donc pour clôturer ce chapitre sur la Chine, une petite compilation des copies observées sur le salon.