Au cours de mes reportages dans les exploitations aux quatre coins de la France, j’ai fréquemment entendu les agriculteurs dresser le constat suivant : « Il est vraiment difficile de trouver des tracteurs neufs équipés d’une conception à l’ancienne, à un tarif vraiment abordable. » Ces engins à la mécanique basique avaient en effet disparu des catalogues de certains fabricants avant de réapparaître petit à petit. Néanmoins, il était encore difficile de trouver des tracteurs vraiment simples, sans superflus tels un écran tactile ou des commandes électroniques. C’est là que le tractoriste Deutz-Fahr entre en scène avec sa gamme 5D Keyline dont le tarif de base démarre à 34 900 € HT, prix rendu culture. La genèse de ces tracteurs repose ainsi sur la volonté de créer une machine dotée d’équipements basiques, donc réparables soi-même, le tout à un prix canon ! Pour nous permettre de constater si, oui ou non, cette philosophie a encore sa place dans nos exploitations en 2025, le constructeur allemand a mis à notre disposition son 5080D Keyline de 76 ch équipé d’un chargeur frontal Stoll Solid 38-20. Ce tracteur motorisé par un trois-cylindres maison de 2,8 L de cylindrée a en plus le bon goût de se conformer à la norme Stage V sans utiliser de système SCR et donc d’AdBlue. Sur l’exploitation de polyculture-élevage et d’arboriculture du lycée agricole de Saint-Yrieix-la-Perche, dans la Haute-Vienne, ce Deutz-Fahr sera mis à rude épreuve avec une herse à prairie de 6 m de large ainsi qu’avec une benne au PTAC de 14 t pour le transport, chargée de fumier qu’il aura lui-même curé et du paillage. La semaine se conclura par un passage au banc de puissance afin de relever ses performances.
Dans le gringalet sommeille un golgoth
Au milieu de la cour, le 5080D Keyline fabriqué dans la toute nouvelle usine de Bandirma, en Turquie, a des airs de ressemblance avec les plus gros tracteurs de la marque allemande. Un Agrotron miniature en quelque sorte. Je monte en cabine. Au volant, je suis stupéfait ! Je retrouve des commandes mécaniques « à l’ancienne », mais dans une cabine à l’aspect moderne. Malgré le petit gabarit du tracteur, Gaëtan Chaput, professeur de machinisme au lycée agricole, me pointe du doigt une herse de prairie ébouseuse de 6 m de large pour entretenir un paddock fraîchement pâturé. « Il va avoir du mal à la soulever », lui ai-je alors dit. Le premier d’une série de doutes face à la taille des outils que je devrai atteler à ce petit tracteur au cours de la semaine. Et pourtant, le 5080D ne s’est pas contenté de soulever la herse de presque 2 t avec un porte-à-faux de plus de 2 m. Il l’a fait sans masse ! De quoi limiter le tassement des sols au maximum. C’est parti ! Je me rends dans la prairie. Je déplie puis pose la herse, réalise rapidement les réglages, et en avant. En me familiarisant avec la transmission pour atteindre une vitesse cible de 7 km/h, je remarque déjà une chose. La boîte est plutôt bien étagée grâce à trois gammes, cinq vitesses et un doubleur sous charge pour un total de 30 rapports en marche avant et 30 en arrière. À l’aide du doubleur sous charge activé depuis le levier de vitesse, je trouve en effet toujours chaussure à mon pied et la limite entre la puissance et un régime moteur le plus faible possible. Ici, je circule par exemple à 7 km/h à 1 500 tr/min. Bien que le tracteur ne soit pas équipé de pont avant suspendu, ni de suspension de cabine, l’optionnel siège à suspension pneumatique suffit presque à amortir les irrégularités de la prairie. Dommage qu’il ne pivote pas pour surveiller l’outil, ce qui offrirait plus de confort. En bout de champ, l’outil monte et descend à l’aide de la commande mécanique du relevage. La fonction de contrôle d’effort n’est pas nécessaire, mais, pour d’autres travaux, elle est tout de même présente. Le travail suit son cours au fil des allers-retours. Le seul manque pour l’instant ? Un accoudoir de chaque côté du siège. Pour le reste, je ne suis pas gêné par l’absence d’automatismes ou d’autres équipements technologiques. Une fois la parcelle entièrement hersée, je retourne à la ferme. J’aurais presque pu dételer sans descendre de la cabine puisque, depuis le siège, je peux attraper les distributeurs, et le simple fait de tirer la collerette les débranche. Malheureusement, il me faut déverrouiller les rotules.
Pas de suspensions, pas de problèmes
Avant de me lancer dans le curage de la stabulation, je dois aller vider la remorque remplie par mon collègue. Là encore, je m’attends à être remué… La remorque de 14 t de PTAC est chargée d’un fumier bien épais dépassant les ridelles. Vais-je finir en portefeuille ? Trop tard pour y réfléchir, me voilà en route vers le tas en faisant un détour de plusieurs kilomètres. Histoire de ! Bien qu’elle soit accrochée à la chape sur échelle, transférant plus de secousses au chauffeur qu’un attelage sur le pithon soudé, le tracteur est assez peu remué par la remorque. J’atteins aisément les 25 km/h malgré les divers faux plats et montées sévères, preuve de sa puissance. Dès le départ, la route est cabossée : en l’absence de pont avant suspendu et même de suspension de cabine, je devrais a priori ressentir des secousses. Étonnamment, pas de phénomène de rebond, même au-delà de 25 km/h. En revanche, nids-de-poule et autres bords de route abîmés se ressentent fortement. Néanmoins, rien d’insurmontable grâce à la suspension du siège. J’arrive à 40 km/h sans pour autant atteindre le régime maximal (sur voie privée dans le cadre du test) lorsque la chaussée est plate et le bitume neuf. Le tracteur volerait presque au-dessus de la route. Au bout d’un certain temps, j’éprouve une gêne à la jambe. En cause, la position et la forme de la pédale d’accélérateur. Pour ce qui est de la sécurité, le freinage à double ligne du tracteur intelligent permet d’atteler la remorque équipée d’une simple ligne. Lors des phases de freinage, même brusques, en descente, le 5080D Keyline n’est jamais réellement en difficulté. Pour le reste, je passe aisément d’une vitesse à l’autre grâce à la position du levier. Je peux également utiliser le rapport sous charge pour retrouver du couple sans pour autant tomber un rapport, ou gagner quelques kilomètres-heure sans risquer d’en manquer plus tard. J’arrive au tas. L’hydraulique du tracteur parvient à soulever facilement la benne grâce à ses 12 L d’huile exportable et à sa pompe à engrenages de 56 L/min.
Le débrayage au frein augmente le confort
Une fois la benne attelée à un autre tracteur, il est temps de tester notre petit Deutz-Fahr au chargeur frontal. Le Stoll Solid 38-20 à parallélogramme mécanique est pourvu d’un autocollant rappelant la démarche à suivre pour son attelage. La manœuvre s’avère assez simple, et le chargeur est verrouillé sur le bâti asse rapidement. Seul bémol, il manque selon moi sur notre machine l’option multicoupleur, pourtant disponible au catalogue. L’un des flexibles était en pression, nous contraignant à le dévisser pour évacuer l’huile.
Grâce à un empattement d’à peine 2,1 m et à un rayon de braquage de 4,5 m, la circulation du 5080D Keyline dans la stabulation à curer est un jeu d’enfant. Je pose le godet, le remplis de fumier puis referme la pince. Le circuit hydraulique à centre ouvert demande un peu de régime moteur avec l’accélérateur à main afin de diminuer les temps de cycle. Le joystick proportionnel en croix nécessaire au pilotage du chargeur frontal est bien intégré et plutôt ergonomique, avec un design très classique. Cependant, sa position un peu avancée par rapport au siège m’oblige à me pencher un peu ou à tendre le bras pour l’utiliser. Comme pour les travaux précédents, l’absence d’accoudoirs se fait sentir. Le levier inclut des boutons pour la troisième fonction et la pince. Cependant, je ne peux pas ouvrir la pince et caver la benne multiservice simultanément en l’absence de cette troisième fonction. Avec une capacité de levage de 2 t, ce chargeur offre de très beaux godets par rapport à la taille du tracteur, sans pour autant le déstabiliser. La hauteur maximale de 3,8 m permet de vider dans des remorques avec rehausses. Gros plus, malgré la simplicité du tracteur, le système de débrayage Stop & Go sur la pédale de frein procure un réel confort de travail, sa sensibilité et son glissement proche de celui de l’embrayage s’avérant bien utile. Bien que le toit soit vitré, la visibilité est entravée par l’imposante traverse de la cabine, me contraignant parfois à chercher un angle de vue sur l’outil. Rien de bien méchant, ceci dit. De plus, l'inverseur électro-hydraulique sous le volant, dont l'agressivité est reglable, facilite encore les manoeuvres de manutention et de bout de champ.
Trois régimes de prise de force
Avant de terminer l’essai, je vais pailler une stabulation pour travailler un peu à la prise de force. Cela tombe bien, celle-ci propose trois régimes : 540, 540 Eco et 1 000 tr/min. Pour la pailleuse, j’utilise directement celui de 540 Eco tr/min. Sur le tableau de bord, un écran numérique affiche le régime réel de la prise de force au centre du compte-tours. C’est parti. Grâce à la position de pompage continu présente sur l’un des distributeurs, je peux manipuler la goulotte. Dommage que le siège ne pivote pas pour surveiller cette dernière sans se courber le dos. Néanmoins, les rétroviseurs à grand angle me permettent de conserver un œil dessus. Une fois les stabulations paillées, il est temps de dételer et de dire adieu à ce 5080D Keyline. Cette semaine m’a conduit à repenser ma vision des attentes que doivent réellement satisfaire les tracteurs. En matière de châssis, de puissance et de capacités, d’une part, ce tracteur a relevé des défis que l’on confierait normalement à plus gros que lui. Sur le plan de l’équipement, d’autre part, son attirail « essentiel » ne m’a pas déplu, au contraire ! Des technologies que je pensais nécessaires le sont-elles réellement ? Lors de cet essai, je n’en ai jamais ressenti le besoin. De plus, le minimum est bel et bien là dans ce Deutz-Fahr 5080D Keyline doté de l’inverseur sous charge, du débrayage via la pédale de frein, du Hi-Lo ou encore de la suspension du siège pneumatique. Le neuf devient ainsi envisageable pour remplacer nos vieux valets de ferme.
