Matériel Agricole : Qu’est-ce qui vous a poussés à créer votre propre entreprise de travaux agricoles ?
Tony Andrey : Nicolas et moi avons fait connaissance en classe de BTS en 2011. Après mes études, j’ai d’abord produit du lait à comté pendant dix ans dans un Gaec hors cadre familial. Ensuite, j’ai continué en individuel sur les terres de mes grands-parents, à Quingey, dans le Doubs, en arrêtant la production laitière. De son côté, Nicolas a été salarié dans une exploitation céréalière pendant huit ans avant de s’installer, lui aussi, en individuel et hors cadre familial, à Rioz [Haute-Saône]. Nous sommes toujours restés en contact, car nous partagions la même passion pour le matériel agricole. L’aventure de l’ETA a réellement débuté en 2021, un peu par hasard, il faut le reconnaître. À l’époque, Nicolas avait acheté une moissonneuse-batteuse Case IH Axial-Flow 1460, destinée principalement à travailler sur nos fermes respectives. Mais, très rapidement, nous avons été sollicités pour de petits chantiers de récolte chez des voisins et des connaissances. Cela nous a plu, et nous avons alors décidé de créer une structure indépendante spécifiquement dédiée aux prestations : l’ETA du Pays Comtois était née ! Les statuts ont été déposés en 2022. Nous avons alors investi dans une moissonneuse-batteuse Claas Lexion 460, pour remplacer notre vieille Axial-Flow qui n’était plus adaptée à nos besoins. L’objectif de l’ETA était d’avoir du matériel pour réaliser les travaux de nos exploitations, tout en proposant en parallèle des prestations afin de rentabiliser plus rapidement nos machines. Nos fermes respectives sont distantes d’une cinquantaine de kilomètres et servent de bases à l’ETA, ce qui permet de couvrir une zone assez large. Nous intervenons aussi sur les hauteurs du Jura, un secteur relativement proche où les cultures sont souvent décalées par rapport à celles de la plaine.
MA : Vous avez visiblement trouvé assez facilement des chantiers. Comment expliquez-vous l’arrivée de ces clients ?
Nicolas Munerot : Ils n’ont certainement pas été séduits par nos équipements dernier cri ! Nous n’avons que du matériel d’occasion. Plus sérieusement, je pense que l’ETA a bénéficié d’opportunités favorables et assez imprévisibles. En effet, plusieurs entrepreneurs proches de chez nous ont récemment pris leur retraite ou ont choisi de réduire leurs activités de récolte pour diverses raisons. Quelques agriculteurs sont également venus nous voir parce que leur propre batteuse arrivait en fin de vie. Tout cela a créé un climat porteur, et les commandes sont arrivées plus facilement que nous ne l’imaginions. Chaque chantier permet aussi de se faire connaître sur une commune et d’établir de nouveaux contacts. Nous avons pu ainsi communiquer sur nos autres prestations : le travail du sol, le semis ou la conduite de bennes pour l’ensilage. Le bouche-à-oreille a bien fonctionné. Pour répondre aux nouvelles demandes, l’entreprise a acheté en 2023 une deuxième moissonneuse-batteuse, une Lexion 540.
MA : Avez-vous rencontré des difficultés depuis la création de l’ETA ? Et, si oui, comment vous êtes-vous adaptés ?
T.A. : Au quotidien, la météo reste notre principal souci. Les fenêtres climatiques pour intervenir sont de plus en plus réduites. Depuis l’automne 2023, les périodes pluvieuses s’enchaînent, et il est toujours très compliqué de planifier les interventions. Parfois, cela tourne vraiment au casse-tête, même si nous avons toujours trouvé des solutions pour satisfaire la demande. Viennent ensuite les problèmes mécaniques, encore plus imprévisibles. Mais les pannes font partie du métier, les agriculteurs le savent bien. Nos moyens financiers nous ont contraints, dès le départ, à travailler avec du matériel d’occasion. Il a fallu aussi s’équiper avec des outils, un compresseur, du matériel électroportatif, car l’entreprise partait vraiment de zéro. Nous avons heureusement assez de compétences en mécanique pour réparer, dans la plupart des cas, sans faire appel aux mécaniciens de la concession. Pour des débutants comme nous, avec peu de ressources financières, c’est réellement indispensable. Les questions économiques et juridiques n’ont en revanche pas posé trop de problèmes. Les statuts ont été rédigés par un cabinet de comptabilité privé qui nous suit également et établit les bilans annuels. Pour les premiers emprunts, nos deux exploitations étant affiliées à la même banque, nous l’avons conservée pour l’ETA. L’approche a été plus simple, puisque la conseillère avait déjà nos références.
MA : Comment entretenez-vous le lien avec vos clients ?
N.M. : Jusqu’à présent, la relation avec les clients s’est toujours bien passée. Par notre activité d’agriculteurs, nous avons construit tous les deux un réseau de connaissances sur nos secteurs respectifs. Cela nous a bien aidés dès le départ pour communiquer sur les prestations proposées par l’ETA. Jusqu’à présent, je pense que nous n’avons pas perdu de chantier, et les agriculteurs restent fidèles dans leur majorité. En retour, nous essayons d’être toujours à l’écoute des clients et disponibles pour leur répondre. Nous nous interdisons de leur promettre l’impossible. Nous sommes réalistes sur nos capacités et évitons donc de programmer des chantiers que nous ne pourrons pas réaliser dans les temps. De même, nous faisons toujours notre maximum pour arriver sur la parcelle à l’heure convenue. Les agriculteurs ont la même problématique que les entrepreneurs au sujet de la main-d’œuvre. Le temps coûte cher, et faire attendre le client, ou son salarié, deux heures au bout du champ n’est pas correct. D’autant qu’il est très facile de les alerter en cas de retard.
MA : Comment envisagez-vous l’avenir ?
T.A. : Nous devons avant tout rester modestes et lucides sur notre situation. Si l’ETA a connu un démarrage plus rapide que prévu, c’est surtout parce que les besoins en prestations autour de nous étaient importants. Deux ans plus tôt, ou deux ans plus tard, tout aurait sans doute été très différent. Actuellement se pose la question d’acheter une troisième moissonneuse-batteuse afin de gagner en souplesse et d’être plus réactifs pour répondre aux clients. L’ETA arrive aujourd’hui à un palier en termes de développement. Soit nous restons à ce niveau pendant quelques années et consolidons notre position, quitte à refuser de nouvelles demandes de chantier, soit nous continuons de croître progressivement en augmentant encore le volume de prestations. Mais cette seconde option implique de trouver de la main-d’œuvre supplémentaire, car nous aurons besoin au moins d’un chauffeur disponible pendant les phases de travaux. Économiquement, l’entreprise ne peut pas embaucher un salarié à temps plein, car le coût serait trop élevé, et nous n’avons pas assez d’activités pour l’occuper, notamment en hiver.
N.M. : La première saison, l’ETA n’avait même pas d’atelier pour réaliser l’entretien des machines. D’année en année, notre organisation s’améliore, puisque nous disposons aujourd’hui d’un petit bâtiment équipé, ce qui nous permet d’être plus efficaces. Sur le moyen terme, l’objectif est aussi d’améliorer la rentabilité, car, pour le moment, les recettes ne sont pas encore suffisantes pour dégager deux vrais salaires, à la hauteur du temps passé. Nous ne voulons pas pour autant nous lancer dans de nouvelles activités sans réfléchir aux besoins à mettre en face. Nous avons la chance de faire ce qui nous plaît. Malgré ce bon démarrage, pas question de s’enflammer en surinvestissant dans du gros matériel ou dans des technologies chères que nous ne pourrions pas rentabiliser. Nous avons aussi une offre à mettre en avant en travail du sol et en semis. Ce sera la demande de la clientèle qui guidera nos choix. À nous d’adapter notre offre et nos pratiques aux besoins des agriculteurs.
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