Dans la gamme de pneumatiques agricoles de Michelin, les tracteurs de plus de 200 ch destinés aux travaux dans les champs se chaussent avec l’AxioBib 2. Pour les utilisateurs passant au moins 80 % de leur temps sur la route, le RoadBib est un pneumatique parfaitement adapté. Entre les deux, l’EvoBib se présente comme la solution polyvalente, à l’aise pour la traction d’outils en pleine terre, tout en autorisant une certaine économie de carburant sur route. La première version de ce pneumatique deux en un était présentée en 2016 et avait remporté la distinction d’or des Sima Innovation Awards 2017. Cependant, elle souffrait de quelques lacunes corrigées par la deuxième génération, nouvellement développée. Le premier EvoBib avait notamment tendance à s’user prématurément sur route, à cause de la pression plus forte au centre de sa bande de roulement.

Afin de présenter la nouvelle génération, le manufacturier nous a exceptionnellement ouvert les portes de son centre de développement de Ladoux, au nord de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Ce site de 450 ha comptant près de 3 500 personnes concentre toute la recherche pour l’ensemble de la gamme Michelin, qu'il s'agisse des pneumatiques routiers (tourisme, poids lourds) ou hors route (agricole, génie civil, aviation…). Nous nous sommes rendus au cœur des pistes d’essai, entre lesquelles 90 ha de parcelles agricoles permettent les tests des pneumatiques agricoles.

EvoBib et télégonflage font la paire
Deux tracteurs nous y attendaient. Un Fendt 828 Vario, auquel était attelé un déchaumeur à dents He-Va, profitait du système de télégonflage Vario Grip monté d’usine. De son côté, un John Deere 6R250 tractait une benne à trois essieux Maupu. Toutes les roues de cet ensemble bénéficiaient d’un dispositif de télégonflage d’origine PTG, équipementier allemand appartenant au groupe Michelin. La présence de ces systèmes n’était pas due au hasard. En effet, le pneumatique EvoBib, dès la première génération, a été spécialement conçu pour moduler sa pression entre 0,6 bar au minimum au champ (selon la charge) et plus de 2,2 bar sur route. Il profite de la technologie VF Ultraflex et inaugure également le marquage « PFO » (Pressure Field Operation) correspondant à une capacité de charge au champ supérieure à celle que permet la norme VF.

L’abaissement de la pression fait croître la surface d’empreinte au sol de 47 %. Au champ, l’affaissement des flancs reporte une partie de l’appui sur l’épaule des crampons, offrant ainsi une capacité de traction équivalente à celle de l’AxioBib 2, selon le manufacturier. Sur route, la pression au sol est uniformément répartie entre les barrettes et les pavés centraux de la bande de roulement. Ceci garantit une usure régulière du pneumatique. De plus, la répartition homogène du poids sur les crampons limite le bruit et les vibrations en cabine. En effet, lors d’un tour à bord du John Deere sur l’une des nombreuses pistes d’essai, je pouvais presque parler à voix basse à mon passager, alors que nous roulions à plus de 40 km/h.

Plus efficient et plus vert
Le fabricant annonce des performances énergétiques, avec son EvoBib, proches de celles du RoadBib. La consommation de carburant serait 7 % inférieure sur route, par rapport à un pneumatique à profil agricole standard. Michelin ne souhaite pas s’arrêter là en matière d’économie de ressources. En effet, le manufacturier impose désormais à ses équipes de développement de ne sortir une nouvelle génération de pneumatiques que si celle-ci intègre une plus grande part de matériaux durables que la gamme existante. Actuellement, la moyenne de tous les produits du groupe Michelin s’élève à 30 % de matériaux durables. L’objectif est fixé à 40 % à l’horizon 2030.

Pour réussir ce challenge, le manufacturier s’est entouré d’une cinquantaine d’entreprises effectuant de la R&D dans le domaine des matériaux. Par exemple, la start-up Carbios a réussi à isoler des enzymes capables de dépolymériser le PET (polyéthylène téréphtalate), très répandu dans les plastiques et les textiles. Ce procédé produit des monomères réexploitables dans l’industrie, limitant ainsi la production de déchets et l’absorption de nouvelles ressources. Michelin s’attend au développement de techniques similaires autorisant la séparation des quelque 200 composants des pneumatiques afin de les réutiliser dans sa fabrication.

Une multitude de métiers pour concevoir un pneumatique
À l’occasion de notre venue sur le site Michelin de Ladoux, au nord de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), nous avons pu visiter le campus RDI. Ce bâtiment de 67 000 m2, inauguré en 2016, est le plus grand de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Nous sommes entrés dans l’une des 75 plateformes de développement, sortes d’« open spaces » où se côtoient une trentaine de personnes issues de différents métiers et travaillant conjointement au développement des pneumatiques. Parmi elles, les concepteurs dessinent le « portrait-robot » du pneumatique idéal en fonction du cahier des charges, afin de proposer un profil qui réponde aux différentes problématiques. Pour l’EvoBib, par exemple, ils ont imaginé une ligne de blocs centraux permettant au pneumatique de conserver en permanence le contact avec le sol sur la route, ainsi que des barrettes découpées pour que son enveloppe se déforme plus facilement en fonction de la pression de gonflage. Ensuite, les spécialistes des gammes conçoivent les différentes déclinaisons, correspondant aux dimensions proposées. Les industrialisateurs interviennent alors pour faciliter la mise en production en série des modèles. Ils doivent pour cela tenir compte des contraintes et des moyens de production de chaque usine. Dans le cas de l’EvoBib, le VF 600/70 R30 PFO est produit à Troyes, dans l’Aube, alors que le VF 710/70 R42 PFO provient de l’usine de Valladolid, en Espagne. Il faut donc adapter le mode de fabrication à chacun de ces sites, en plus de faire correspondre les process aux contraintes liées aux dimensions. En effet, le temps de vulcanisation n’est pas le même entre les grands et les petits modèles.

Des recettes précises
Parmi les métiers, il ne faut pas oublier les chefs de projet, chargés de chapeauter les équipes, les assistants dont la tâche consiste à analyser le marché et ses besoins, les ingénieurs brevet, afin de protéger les innovations industrielles, les experts normes, les moulistes… Citons également les développeurs « cuits » et les développeurs « crus ». Leur tâche vise à sélectionner et définir l’emplacement des différentes gommes dans le pneumatique. Ils doivent aussi tenir compte de la réaction lors du pressage de l’enveloppe, c’est-à-dire le moment où le pneu est cuit sous pression. C’est alors que l’assemblage de gommes et de nappes en acier et synthétiques passe de l’aspect plastique de la pâte à modeler à celui, élastique, devant lui permettre de revenir à sa forme initiale après s’être déformé. Il a fallu également inventer un nouveau procédé de démoulage de l’EvoBib en raison de la complexité de sa bande de roulement, comptant notamment des découpes dans ses barrettes. Mais, sur ce point, nous n’en saurons pas plus, secret industriel oblige. À l’extérieur des bureaux, sept personnes se consacrent à l’essai des pneumatiques agricoles. Elles disposent pour cela de parcelles d’essai disséminées entre les pistes goudronnées. Les essais routiers sont effectués la nuit, lorsque voitures, motos et autres poids lourds n’utilisent pas la piste 1, la plus grande du complexe. C’est notamment sur celle-ci que la mythique Bugatti Veyron a atteint 420 km/h.
