En découvrant le pick-up Ford Ranger, il est difficile de ne pas penser à son mythique cousin, le F150. À l’instar des bouteilles de Coca-Cola, de Mickey Mouse ou des boîtes de soupe d’Andy Warhol, ce dernier fait partie des icônes les plus inébranlables du rêve américain. De génération en génération, depuis 1948, il se classe au sommet des ventes de véhicules aux États-Unis. Par sa vocation d’utilitaire et ses capacités de charge de 1,5 t, il convainc autant des professionnels que les passionnés. Pour les plus accrochés d’entre eux, des préparateurs renommés, tel Shelby, le déclinent dans des versions survitaminées à la limite du raisonnable. Mais si ce véhicule règne sans partage en Amérique du Nord, ses plus de 4 t de poids total en charge et la gloutonnerie de ses motorisations V6 ou V8 le disqualifient dans les autres régions du monde. Il laisse alors toute sa place aux Ranger, tout aussi agiles, mais d’un gabarit plus raisonnable. Le modèle actuellement commercialisé, que Ford France nous a fait découvrir dans quatre séries spéciales, appartient à sa troisième génération. La toute première avait été présentée en 1997 sous la forme d’un modèle dérivé d’un pick-up Mazda. Fabriqué en Thaïlande, celui-là était alors destiné aux marchés asiatique et océanique.
Un pick-up mondial
Au fil des années, les bureaux d’études australiens de Ford ont corrigé son dessin pour en faire un véhicule plus en ligne avec le style de la marque. Apparemment, cela a convaincu. Le Ranger est désormais commercialisé sur les cinq continents et même, depuis peu, aux États-Unis. En France, avec 3 454 unités immatriculées en 2021, il est au coude-à-coude avec le Toyota Hilux. Il devance largement les Nissan NP300 et Isuzu DMax. Ses plus de 1 000 kg de charge utile et ses 3 500 kg de capacité de remorquage intéressent un large panel de professions. Même l’armée française en a retenu une déclinaison, celle de l'Everest carrossée en SUV et militarisée par Arquus, pour remplacer sa flotte de Peugeot P4. La troisième génération de Ranger, lancée en 2012, vit actuellement sa dernière année. Ford a d’ores et déjà dévoilé les images du modèle qui lui succédera. Le constructeur le promet plus puissant, plus confortable, avec des tableaux de bord numériques plus actuels et un design toujours plus inspiré de celui du F150. Mais cette nouvelle génération ne sera disponible dans notre pays qu'à l’horizon 2023. En attendant, pour ne pas casser la dynamique commerciale, le constructeur décline le Ranger en séries spéciales. Il m’avait précisément invité à la fin du mois de novembre avec quelques collègues de la presse spécialisée à les évaluer dans le relief de l’arrière-pays marseillais.
L’agrément d’une berline
Ford France avait, pour l’occasion, aligné quatre versions s’adressant à tous les goûts et profils d’utilisateurs. Celle par laquelle je démarre ma session d’essais est le MS-RT. Pour être franc, ce n’est pas le modèle que je conseillerais en premier choix à des utilisateurs du monde rural nostalgiques, à juste titre, de l’extraordinaire polyvalence du Peugeot 504 bâché ou du caractère économique du Citroën C15. Cette version est reconnaissable par sa calandre en nid-d’abeilles, ses jantes de 20 pouces montées de pneumatiques typés route, une sellerie rehaussée de surpiqûres orange et par ses passages de roues élargis. Elle est le fruit du travail du préparateur spécialisé britannique MS-RT qui, à l’image de Shelby de l’autre côté de l’Atlantique, valorise une expérience acquise dans la compétition en modifiant des modèles de série. Avec son deux-litres bi-turbo de 213 ch adossé à une boîte automatique à dix vitesses, le véhicule ne manque pas de qualités dynamiques et conserve toutes ses capacités de charge. Le parcours d’une quarantaine de kilomètres effectué à son volant sur les routes sinueuses du massif de la Sainte-Baume est un régal. Les sièges sont enveloppants, et la transmission automatique plutôt réactive. Si je soupçonne sa vivacité et ses capacités d’accélération, le paysage, le gabarit de l’engin et la présence de nombreux cyclistes m’incitent à me considérer davantage à bord d’une bonne berline que dans un engin sportif. Je me laisse donc aller à l’agrément d’une promenade tranquille dans la garrigue plutôt que d’attaquer à tout-va. « Le MS-RT s’adresse à un personnage élégant et athlétique, aussi sportif que possible, à l’aise partout où il va », précise la documentation de Ford. Le personnage en question doit probablement aussi disposer d’un portefeuille garni. Les modifications apportées par un atelier britannique à ce véhicule fabriqué en Afrique du Sud font grimper sa facture à des niveaux stratosphériques (54 755 € en Supercab et 67 986 € en double cabine).
Une boîte auto convaincante
Heureusement, le Ranger a plus d’une série spéciale dans son sac. Une session de franchissement effectuée en Wolftrak, une version plus pragmatique (à partir de 30 755 €), devait me rassurer sur la vocation rurale de l’engin. Les hommes de Ford avaient concocté un parcours d’obstacles à sa mesure. Rampes montantes et descendantes, passages en dévers, croisement de pont… rien ne lui a été épargné. Mais avec son angle d’attaque de 28°, son angle de fuite de 27° et sa garde au sol de 232 mm, le couple à bas régime offert par son quatre-cylindres de 2 L développant 170 ch, ses modes 4x4 à vitesses longues ou courtes, il n’a pas eu trop de mal à vaincre toutes les chausse-trapes. Il m’a même réconcilié avec la technologie des boîtes automatiques. Pour avoir effectué le même parcours avec un autre Ranger à transmission manuelle, je dois reconnaître qu'une boîte auto pardonne davantage les maladresses du conducteur que je suis, peu habitué à descendre avec sa voiture personnelle des rampes à 45°, encore moins à s’aventurer dans des chemins minés de nids-de-poule dimensionnés pour des autruches.
Le ravitaillement rapide des chantiers
Comme le rôle d’un pick-up est également de rejoindre le plus rapidement possible des chantiers par des chemins d’exploitation creusés d’ornières, Ford France m’invitait ensuite à exécuter quelques essais dynamiques à bord d’un Stormtrak. Avec ses 213 ch, cette version démarrant à 41 255 € ne devrait avoir aucune peine à tracter les plus lourdes charges. En revanche, son magnifique intérieur en cuir n’est pas le mieux assorti à un univers agricole parfois salissant. Pour me permettre d'évaluer ce Ranger, les équipes du constructeur avaient préparé un itinéraire empruntant des pistes caillouteuses dessinées dans des collines dont Marcel Pagnol a certainement décrit l’aride beauté. Assis sur le siège passager, mon formateur m’explique les possibilités des commandes : le passage en mode 4x4 en roulant, l’engagement des gammes lentes à l’arrêt… Le caractère cassant d’un chemin s’engageant entre des arbustes aux feuilles acérées ne m’incline pas à commettre le moindre excès de vitesse. Ayant le goût de la belle mécanique, je n’ai guère envie de balafrer le beau rouge « Lucid » de sa carrosserie. J’avance donc tranquillement à 20-30 km/h, comme j’en ai l’habitude sur un tel terrain. Cependant, mon passager commence à s’ennuyer : « Vas-y ! vas-y ! » J'appuie. Les rapports montent tout seuls. 40-50 km/h… « Tu peux y aller encore ! » 60-80 km/h… « Là, c’est bien. » Le pick-up gomme toutes les aspérités de la piste. Rien ne vient rappeler à mon souvenir le train arrière rigide retenu par des suspensions à lames. Bien que le véhicule ne soit pas chargé, je dois reconnaître l’excellent travail réalisé par les ingénieurs de Ford sur les trains roulants. « Ralentis maintenant ! » Une descente se profile. « Tu vas tester le contrôle de descente. » Mon voisin me montre la commande à actionner. Je lâche frein et accélérateur, et la voiture régule toute seule son allure. J’ajuste le rythme grâce aux curseurs disposés sur le volant. Désormais, c'est moi qui m’ennuie. « En fait, m’explique-t-il, cette commande est surtout utile dans des conditions difficiles, dans la neige ou la boue, pour garder le contrôle en terrain glissant. »
Ça freine !
Je croyais en avoir fini de l’essai. Mais mes hôtes avaient prévu une petite surprise pour éprouver les freins et la suspension de l’engin. Pour cela, ils avaient aligné la version la plus performante de la gamme Ranger, le Raptor Special Edition, proposé uniquement en double cabine au tarif de 60 270 €. Ce modèle présente la particularité de s’être débarrassé de son essieu arrière rigide au profit de trains indépendants montés sur suspensions à ressorts. Dans cette architecture, la charge utile, ramenée à 620 kg, perd près de 400 kg, mais le véhicule gagne en dynamisme. Pour me le prouver, le formateur me propose un essai de freinage. « Vois-tu les plots, là-bas ? Tu accélères jusque-là, puis tu écrases le frein et tu essaies de garder le contrôle en prenant le chemin étroit qui part sur la gauche. Si tu te loupes, ce n’est pas grave. Tu prends tout droit. » Je m'exécute. Effectivement, ça freine. Aucun problème pour rester dans la trajectoire.
Un plaisir de sale gosse
La suite du parcours allait se révéler plus décoiffante. « Ici, aux plots, tu marques le stop, m’indique mon instructeur. Ensuite, tu accélères à fond. Sur la butte, là-bas, tu vas décoller. Pour que la voiture reprenne correctement contact avec le sol sur ses quatre roues, tu dois être au-dessus de 60 km/h. En dessous, elle pique du nez et atterrit lourdement sur le train avant. Ne t’inquiète pas. Avec les collègues, nous avons passé trois jours à tout calibrer. Même les plus mauvais d’entre vous y arrivent ! Je prends d’abord le volant pour te montrer. » Cramponné à mon siège passager, je vois la butte se rapprocher à une allure déraisonnable. Alors que mes pieds sont occupés à chercher une pédale de frein imaginaire, l’engin atterrit déjà, et mon cerveau a du mal à analyser l’efficacité de la suspension. « À ton tour maintenant. Je te donne le top départ. » Je me présente au niveau des plots. Je me donne quelques secondes pour réfléchir à la stupidité de la manœuvre. Que se passerait-il si je faisais ça avec ma voiture personnelle ? Elle décollerait certainement. Mais, en principe, au contact du sol, les suspensions atteindraient leur butée, l’assise du siège s’écraserait sur le plancher, et les fesses remonteraient au niveau du coccyx. Ce serait certainement le moyen le plus rapide de lui apporter une touche Gordini. Ne manquerait plus que les bandes blanches ! Mes réflexions sont interrompues par le grésillement du talkie. « Tu peux y aller. » Le chef l’a dit. Je le fais. J’appuie. Je n’ai pas le loisir de contrôler les 60 km/h sur le tachymètre que j’ai déjà quitté terre. Mais rien de ce que je craignais ne se produit. Effectivement, la suspension est capable d’amortir la tonne quatre-vingts de l’engin quand il reprend contact avec le plancher des vaches. Au volant, je découvre une sensation nettement moins désagréable que lorsque j’étais passager. Un énorme plaisir m’envahit. Sans doute ce que mes jeunes collègues qualifient de « kif de ouf », un vrai plaisir de sale gosse, celui de faire quelque chose de vaguement risqué, un peu interdit, se croire le roi du monde le temps que la bouffée d’adrénaline redescende. L’espace d’un instant, j’ai à nouveau 15 ans.
Le pragmatisme reste abordable
En conclusion, et pour redescendre un peu sur terre, le Ranger peut être présenté comme un engin polyvalent qui trouve sa place dans une exploitation agricole. Mais inutile d’opter pour ses déclinaisons à plus de 60 000 € sous prétexte qu’elles sont capables de supporter d’inutiles acrobaties. L’entrée de gamme XL avec simple cabine, boîte de vitesses mécanique et moteur diesel de 130 ch démarre à 26 005 €. Déjà, à ce prix, la charge utile et l’aptitude à s’aventurer sur tous les chemins sont au rendez-vous. Ensuite, pour plus d’agilité et de capacité de remorquage, le tarif grimpe à 27 505 € en 170 ch, puis à 31 605 € en XLT boîte automatique, système audio GPS, cabine approfondie
Fiche technique
Longueur* : 5 282 à 5 363 mm
Largeur avec rétroviseur rabattu* : 1 977 à 2 028 mm
Poids* : 1 800 à 1 873 kg
Empattement : 3 220 mm
Longueur de benne* : 2 317 mm (simple cabine), 1 813 mm (Supercab), 1 613 mm (double cabine)
Largeur de benne* : 511 mm
Profondeur de benne* : 511 ou 541 mm
Hauteur de chargement* : 835 à 906 mm
Charge utile* : 1 056 à 1 252 kg (sauf Raptor : 620 kg)
Capacité de remorquage* : 2 500 kg pour le XL de 130 ch, 3 500 kg sinon
* Selon les versions